Articles du Vendredi : Sélection du 10 juillet 2015

Monsieur Hollande, on ne sauvera pas le climat sans la société civile

Kumi Naidoo est directeur général de Greenpeace International, Jean-François Julliard est directeur général de Greenpeace France
www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/09/monsieur-hollande-on-ne-sauvera-pas-le-climat-sans-la-societe-civile_4677012_3232.html#xmFkKXp6oDRFHfSp.99

Le climat ne supportera aucun exemption

Les Amis de la Terre, France Nature environnement, la Fondation pour la nature et pour l’homme, Oxfam, Réseau Action climat et le WWF
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/090715/le-climat-ne-supportera-aucun-exemption

Pascal Canfin: «nous n’avons fait que le quart du chemin sur la voie des 2°C»

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/pascal-canfin-nous-n-avons-fait-que-le-quart-du-chemin-sur-la-voie-des-2-c,60201?xtor=EPR-9

Lettre à une croissance que nous n’attendons plus

Manon Dervin (Etudiante à Science Po Rennes)
www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/03/lettre-a-une-croissance-que-nous-n-attendons-plus_4668596_3234.html

Monsieur Hollande, on ne sauvera pas le climat sans la société civile

Kumi Naidoo est directeur général de Greenpeace International, Jean-François Julliard est directeur général de Greenpeace France
www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/09/monsieur-hollande-on-ne-sauvera-pas-le-climat-sans-la-societe-civile_4677012_3232.html#xmFkKXp6oDRFHfSp.99

Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1985, le Rainbow Warrior de Greenpeace coulait dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, suite à un attentat orchestré par les services secrets français. Le photographe et militant Fernando Pereira trouvait la mort.

Trente ans plus tard, l’année où la France accueille l’une des plus importantes conférences sur le climat, Greenpeace veut honorer la mémoire de Fernando Pereira et rappeler la nécessité de protéger la société civile, essentielle dans toutes les luttes pour la protection de la planète.

Un hommage respectueux qui ne souhaite pas diviser mais souligner avec détermination la nécessité vitale de l’engagement et de la protection de celles et ceux qui se lèvent pour dire leur inquiétude et changer le monde. Parfois au risque de leur sécurité.

Qui douterait aujourd’hui de la nécessité de s’opposer aux essais nucléaires en pleine mer ? Une réalité qui, à l’époque, était loin d’être une évidence et a coûté la vie à un photographe et militant pacifiste. Autre époque, autres périls. La lutte contre les dérèglements climatiques ou contre les groupes d’intérêts qui détruisent l’environnement coûte encore la vie à de trop nombreux militants de nos jours dans bien des pays. Les chiffres sont sans appel : ils sont 166 à avoir trouvé la mort en défendant l’environnement en 2014 et depuis 2002, ce sont 900 défenseurs du bien commun de l’humanité qui ont été assassinés…

Dans le monde, la crispation grandissante de pays censés agir en démocraties nous alarme. En Inde, le gouvernement a entamé depuis des mois une vraie chasse aux ONG qui œuvrent sur son sol, dont Greenpeace, accusée de saper l’économie du pays et d’agir contre les intérêts nationaux. La même accusation que celle portée en France contre l’organisation il y a trente ans. En Russie, le sort des ONG est extrêmement préoccupant, avec la promulgation récente d’une loi permettant au gouvernement d’interdire et d’expulser toute organisation non gouvernementale considérée comme « indésirable » ou menaçant les « intérêts de l’Etat ». En France, si la loi garantit la liberté d’association, la situation n’est pourtant pas exemplaire non plus. Notre-Dame-des-Landes, Sivens et bien d’autres sont autant de projets inutiles et destructeurs de l’environnement. Ces luttes ont généré des tensions et des violences extrêmes allant jusqu’à la mort d’un jeune militant écologiste et pacifiste. A chaque fois, la responsabilité du gouvernement dans ces violences est clairement engagée. Plus récemment, une loi anti-intrusion dans les centrales qui stigmatise l’action de Greenpeace contre le risque nucléaire a été votée par le Parlement. On pense aussi évidemment à la loi sur le renseignement qui légalise et élargit les moyens de surveillance de masse et risque de se révéler plus efficace contre la société civile que les réseaux terroristes. Partout sont avancés l’intérêt supérieur de l’Etat ou la raison d’Etat. Comme il y a trente ans.

Monsieur le président, vous avez pris de nombreuses fois la parole au sujet des dérèglements climatiques et vous voulez faire de la conférence de fin d’année un grand moment de votre quinquennat. Vous vous êtes adressé aux entreprises, aux syndicats, vous portez le sujet lors de vos déplacements à l’étranger. Mais qu’en est-il de cette société civile qui s’engage au quotidien pour enclencher la transition écologique, mais aussi pour s’opposer aux projets de destruction de la planète initiés de façon arbitraire au nom des énergies fossiles, de la déforestation ou du nucléaire ?

Monsieur le président, nous vous demandons en cette année particulière de faire preuve de cohérence et de vous exprimer aussi au nom de ces femmes et de ces hommes toujours courageux mais souvent en danger. Certains des pays qui seront autour de la table de négociations protègent plus les intérêts des pollueurs – industriels du charbon, du pétrole ou du nucléaire en tête – qu’ils ne se soucient des défenseurs de l’environnement. Quand ils ne les prennent pas directement pour ennemi, voire pour cible.

Monsieur le président, nous sommes arrivés à un tournant de l’Histoire où les paroles et les actes doivent concorder car l’avenir de tous en dépend. On ne peut vouloir sauver le climat et ignorer ceux qui mettent en place concrètement des solutions, des alternatives et tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies. Vous devez porter haut et fort ce message encourageant et honorer le courage de ceux qui s’engagent pour la Planète, souvent au péril de leur liberté et parfois de leur vie. Comme Fernando Pereira.

Le climat ne supportera aucun exemption

Les Amis de la Terre, France Nature environnement, la Fondation pour la nature et pour l’homme, Oxfam, Réseau Action climat et le WWF
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/090715/le-climat-ne-supportera-aucun-exemption

Les Amis de la Terre, France Nature environnement, la Fondation pour la nature et pour l’homme, Oxfam, Réseau Action climat et le WWF protestent contre le report de la suppression des aides à l’exportation pour les centrales à charbon. « La mise en œuvre de l’engagement présidentiel aura valeur de test quant au leadership de François Hollande pour la Conférence Paris Climat 2015 : saura-t-il montrer la voie et réunir autour de mesures ambitieuses ? »

 

À six mois du sommet sur le climat, la COP 21, le gouvernement veut reporter la suppression des aides à l’exportation pour les centrales à charbon, annoncée par François Hollande fin 2014. Les associations membres du Conseil national de la transition écologique protestent.

 

Tous les scénarios étudiés actuellement par le gouvernement pour appliquer l’engagement de François Hollande sur la fin des soutiens publics de la France à l’exportation « dès lors qu’il y a utilisation du charbon » constituent une remise en question de cet engagement. Pour la société civile française et internationale, un retour en arrière par rapport à cette annonce emblématique du président de la République serait inadmissible et ébranlerait fortement la crédibilité et l’exemplarité de la France dans son rôle de présidente de la COP21.

 

Des régimes d’exemption proposés dans la « note de problématique » adressée au Conseil national de la transition écologique (CNTE) par le ministère de l’écologie permettraient d’octroyer des garanties publiques pour continuer à exporter des centrales à charbon sans CSC opérationnel vers les plus gros marchés mondiaux, notamment l’Inde (39% du marché mondial hors Chine). Qui plus est, trois exemptions permettraient d’y exporter des centrales moins efficaces du point de vue énergétique que celles présentes sur ces marchés. Cela revient à un report de l’annonce présidentielle à 2020 voire 2030, selon les régimes d’exemption proposés

 

Si la France décidait d’appliquer les régimes d’exemption proposés (n°2, 3, 4, 5), elle aurait une politique en matière de crédits export encore moins ambitieuse que celle de l’Allemagne. Pourtant très conservatrice en la matière compte tenu de l’importance de son secteur  industriel, l’Allemagne ne garantit plus en effet, depuis décembre 2014, que les centrales ultra-supercritiques. La France se placerait très loin derrière les Etats-Unis, qui ne garantissent plus que les centrales avec système opérationnel de Captage et stockage de CO2 (sauf quelques exceptions vers les pays pauvres.

 

La proposition du gouvernement, telle que communiquée au CNTE, est taillée sur mesure pour l’entreprise française Alstom, bien que le nom de l’entreprise n’apparaisse jamais dans le document. Alstom a été l’unique bénéficiaire des garanties de la Coface à l’export pour le secteur du charbon entre 2001 et 2014. Or aujourd’hui, Alstom n’exporte pratiquement plus la technologie de centrales au charbon sous-critiques. La technologie supercritique est également en baisse chez Alstom, au profit de l’ultra-supercritique. L’entreprise construit des centrales supercritiques depuis près d’un demi-siècle (1967) : cette technologie ne mérite en rien la qualification d’innovation technologique justifiant un soutien de la Coface. Alstom souhaite continuer à exporter des centrales au charbon vers les plus gros marchés mondiaux, notamment les pays à revenu intermédiaires comme l’Indonésie, le Vietnam, l’Inde, la Thaïlande, l’Afrique du Sud. Justement ceux qui font l’objet de propositions d’exemptions

Rappelons que l’engagement de François Hollande sur le financement du charbon est axé sur l’urgence climatique. Or, même les technologies de centrales à charbon les plus efficaces demeurent très émettrices de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Même en ne construisant que des centrales ultra-supercritiques (la technologie la plus efficace), la planète serait toujours sur une trajectoire de réchauffement bien au-delà du seuil maximal de +2°C fixé par la communauté internationale. En outre, d’après une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui vient de paraître, le charbon est l’énergie qui fait peser la menace climatique la plus urgente ; les soutiens publics destinés à améliorer l’accès à l’énergie, notamment dans les pays en développement, doivent impérativement être réorientés vers les énergies renouvelables.

 

Les organisations remarquent que la note qui leur a été communiquée contient de nombreuses affirmations qui ne font l’objet d’aucune justification et ne sont appuyées par aucune source. Les approximations sont également nombreuses. Le présupposé est que des emplois chez Alstom seront directement menacés par l’application de la décision du président de la République. Mais jamais preuve n’est donnée de cette affirmation. Enfin, puisque la note s’intéresse aux emplois chez Alstom, elle aurait dû élargir le champ de l’analyse à l’ensemble des métiers d’Alstom, dont une grande partie bénéficie de la transition énergétique française et mondiale (par exemple dans les énergies renouvelables). Or, les soutiens publics de la France au charbon empiètent sur le financement de la transition énergétique.  Alstom, contrairement à ce qui est affirmé dans la note, n’a pas besoin d’une période de transition avec des soutiens Coface pour passer aux énergies renouvelables car Alstom construit déjà plus de projets renouvelables que de centrales à charbon (en nombre, en puissance cumulée, en nombre de pays importateurs).

 

Contrairement à ce qui est supposé dans la note (sans justification), le charbon n’est pas une solution à la précarité énergétique dans les pays du Sud. C’est notamment ce qu’a montré Carbon Tracker Initiative. D’abord, les énergies renouvelables sont en train de devenir moins chères que les énergies fossiles et fissiles, notamment le charbon, dans la plupart des pays en développement. C’est notamment le cas en Afrique du Sud où les courbes de coût des nouvelles centrales charbon et des énergies renouvelables (solaire photovoltaïque, éolien terrestre) se sont croisées. De plus, fournir un accès à l’énergie aux populations du Sud est avant tout un enjeu rural. Or, dans les zones rurales les coûts de construction d’infrastructures et de rattachement au réseau (nécessaires pour les centrales au charbon) sont prohibitifs. Il est ainsi moins cher de construire des systèmes décentralisés d’énergies renouvelables qu’une centrale au charbon connectée à un réseau.

 

La mise en œuvre de l’engagement présidentiel aura valeur de test quant au leadership de François Hollande pour la Conférence Paris Climat 2015 : saura-t-il montrer la voie et réunir autour de mesures ambitieuses ? L’engagement du président de la République a été médiatisé sur la scène nationale et internationale comme signe du volontarisme politique de la France. Or, la France ne pourrait affirmer un leadership par rapport aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, à la BERD, à la BEI et à la Banque Mondiale (1) si elle s’entête à vouloir poursuivre le financement du charbon via la Coface en créant des exemptions telles que dans les régimes n°2, 3, 4, 5, qui élargissent les exemptions à une large part du marché mondial. L’engagement présidentiel ne doit pas être bafoué au motif de protéger l’intérêt d’un industriel – motif dont la présente note a démontré qu’il n’était pas fondé.

 

(1) Cf. Annexe IV sur les politiques mises en places par ces pays et institutions.

Pascal Canfin: «nous n’avons fait que le quart du chemin sur la voie des 2°C»

Valéry Laramée de Tannenberg
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Conseiller du World Resources Institute, l’un des plus influents think tank sur les questions environnementales, l’ancien ministre du développement fait le point sur l’avancée des négociations climatiques. Des tractations qui ne concernent pas que les Etats.

Quelle est votre appréciation des engagements pris par les gouvernements sub-nationaux, la semaine passée, à Lyon ?

On a souvent tendance à comparer la COP 21, qui s’annonce, au sommet climatique de Copenhague. Il y a une grande différence. En 2009, on n’évoquait qu’un accord international. Aujourd’hui, nous travaillons, bien sûr, à ce type d’accord, mais aussi à toute une série d’engagements, pris par les acteurs non gouvernementaux (entreprises, collectivités, syndicats). Et il faudra faire le bilan de la COP 21, à l’aune de tous ces engagements, et pas seulement ceux des Etats.

 

Pas facile d’agglomérer la contribution nationale d’un pays et l’engagement d’un assureur ou d’une région.

C’est vrai qu’on ne dispose pas de la grille de lecture nécessaire. On ne sait pas non plus comment prendre en compte les engagements des collectivités : est-ce une partie d’un engagement national ou cela l’améliore-t-il ?

 

Donc, lorsque le sénateur Ronan Dantec estime que le total des engagements pris à Lyon représente 1,5 gigatonne de CO2 d’ici à 2020. C’est du doigt mouillé ?

L’estimation en tonnes évitées n’est pas au « doigt mouillé ». En revanche il n’est pas possible de dire en quoi cela permet de revenir vers les 2 degrés puisqu’on ne sait pas si ces tonnes évitées sont additionnelles à celles liées aux engagements des Etats. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui compte c’est la dynamique mise en œuvre par les acteurs non gouvernementaux. Je pense, en particulier, au monde de la finance privée. Les ministres des finances des pays du G20 ont saisi le conseil de stabilité financière (FSB) et lui ont demandé d’évaluer les impacts des conséquences des changements climatiques sur la stabilité financière. On ne peut plus imaginer que l’économie réelle, sortira indemne de quelques décennies de réchauffement. Le problème, c’est que pour le moment, le monde de la finance fait comme si c’était le cas, alors que notre trajectoire actuelle nous mène à réchauffement de plus de 3°C d’ici à la fin du siècle. Il y a donc urgence à modifier les règles d’appréciation du risque, notamment. C’est ce qui pourrait ressortir de la mission du FSB, qui rendra ses premières analyses en octobre.

 

Réduire les émissions de gaz à effet de serre et financer l’adaptation coûteront des milliers de milliards. Or, curieusement, les négociations se bloquent sur le financement du fonds vert climatique et la promesse des 100 milliards de dollars par an, à partir de 2020. Comment expliquer pareil paradoxe ?

Ce sont deux sujets différents. Les 100 milliards c’est un engagement politique du Nord vers le Sud. Montrer comment y parvenir est un élément clé à mes yeux pour un succès diplomatique à Paris. Le fait de changer des milliers de milliards d’investissements répond à une autre logique qui revient à verdir les investissements actuels réalisés partout dans le monde. A titre d’exemple, le monde investit 5.000 milliards de dollars (4.500 milliards €) dans la construction d’infrastructures chaque année. Mais elles ne sont «vertes» que pour 7 à 13%.

 

Financer la réduction des émissions, on sait faire. Peut-on en dire autant de l’adaptation ?
Non, alors que c’est la priorité de la plupart des pays les moins avancés (PMA) qui sont aussi les plus vulnérables au déréglement climatique. C’est la raison pour laquelle, il serait bon, qu’à Paris, les Etats s’accordent sur un paquet spécifique sur l’adaptation des PMA, financé par de l’argent public

 

Comment faire pour flécher l’argent de l’économie réelle vers l’économie verte ?

C’est la réflexion que nous avons menée avec Alain Grandjean, à la demande du président de la république. Dans notre rapport, nous faisons 4 grands types de propositions: donner un signal prix aux émissions de carbone, engager les banques de développement à financer l’économie «bas carbone», faire évoluer la réglementation financière et inciter au financement de «bonnes» infrastructures.

 

Un débat agite, en ce moment, des économistes du climat sur l’opportunité de créer un prix unique du carbone. Qu’en pensez-vous ?

Dans un monde parfait, qui serait celui du prix Nobel Jean Tirole, un prix unique du carbone a toute sa place, mais pas dans le monde réel. C’est pourquoi, nous proposons la constitution d’un club de pays volontaires — ceux qui taxent déjà les émissions de CO2 ou qui ont ouvert un marché de quotas d’émissions — ayant la volonté de faire converger les prix entre 15 et 20 dollars la tonne de CO2 (14-18 €), en 2020, et 60 à 80 $ (54-72 €), en 2030. Ce signal prix ne sera jamais intégré à un accord onusien, comme celui de Paris. Il doit être négocié à côté. Je constate d’ailleurs que la réforme du marché du carbone que mène l’Union européenne a pour objectif de faire remonter le prix du quota à 20 € vers 2020.

 

Autre négociation connexe : la réforme des banques de développement…

Effectivement, mais, là non plus nous ne partons pas de rien. Environ 20% des investissements de la Banque mondiale sont déjà pro-climat. Ce qui ne veut pas dire que les 80% autres sont anti-climat. Je pense aux projets d’éducation, par exemple. Mais clairement les banques de développement peuvent verdir davantage leurs projets. Par ailleurs coup sur coup, la Chine et les BRIC viennent de créer deux banques de développement, dotées d’environ 100 milliards de dollars. Problème: nul ne sait encore si elles financeront du charbon ou des énergies renouvelables. Ces décisions seront cruciales pour l’avenir.

 

À ce jour, 44 pays ont publié leurs engagements pour la COP 21. Quel premier bilan en tirez-vous ?

Il ne faut pas raisonner en nombre de pays, mais en pourcentage d’émissions couvertes. Certes, on ne trouve qu’une quarantaine d’INDC, mais avec l’Union européenne, la Chine, les Etats-Unis, la Corée, la Russie, le Canada, l’essentiel est là. Ne manque plus que l’Inde et le Brésil. On a parcouru, pour le moment, 25% du chemin nécessaire à la stabilisation du climat à 2°C. C’est ce que diront probablement les scientifiques qui se réuniront à Paris toute cette semaine. C’est le rôle de la France de faire pression sur ses partenaires pour qu’ils améliorent leurs engagements. Trois échéances doivent être surveillées de près: le conseil des ministres des finances européens du 14 juillet, à l’occasion duquel un accord sur la taxe sur les transactions financières pourrait être trouvé, le prochain sommet USA-Chine et le sommet des chefs d’Etat que l’ONU et la France ont convoqué fin septembre. Ce dernier est fondamental, car ce sont les chefs d’Etat et de gouvernements qui font les accords, pas leurs négociateurs techniques.

Il est peu probable que les pays revoient à la hausse leurs promesses.

L’Union européenne a pris l’engagement de réduire ses émissions de 40% «au moins» entre 1990 et 2030. Il faut profiter de cette flexibilité. Certains pays moteur, comme la France, le Royaume-Uni, les pays scandinaves, l’Allemagne et l’Italie pourraient décider d’aller au delà de l’objectif communautaire. Cela aurait un effet d’entrainement, dans et hors de l‘UE. Par ailleurs il faut aussi regarder les engagements qui ne sont pas dans les INDC. Ainsi la France est le premier pays au monde à avoir obligé les investisseurs qui gèrent notre épargne à mesurer leur empreinte carbone et leur contribution à la transition vers une économie 2 degrés. La Suède et les Pays-Bas réfléchissent à des dispositifs comparables. Ce type de mesure peut contribuer à aller au delà du chemin déjà parcouru. Il faut les multiplier d’ici la COP21.

Lettre à une croissance que nous n’attendons plus

Manon Dervin (Etudiante à Science Po Rennes)
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« Le Monde » publie un texte de Manon Dervin (Etudiante à Science Po Rennes), choisi par le Cercle des économistes dans le cadre du concours « Imaginez votre travail demain – La parole aux étudiants » organisé à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Ce texte s’inspire d’ « Un Projet de Décroissance » . Merci Manon. (Article publié sur : www.projet-decroissance.net/?p=2059)

Ô très chère Croissance. Ma bien-aimée. Ton retour s’est fait attendre. Ton dogme fondé sur la valeur centrale du  « travail  » conditionne encore aujourd’hui toute la vitalité du système économique. Tu fabriques l’Emploi et en tires ta force. Les médias, les politiques et tous les travailleurs retiennent leur souffle. Te chercher a plongé le monde occidental dans une torpeur sans précédent. Une gueule de bois post-crise financière de 2008 soignée à coups de jéroboams de mesures économiques afin de te faire revenir.

Mais aujourd’hui je ne t’attends plus, Croissance. L’âge d’or des  «  trente glorieuses  » est terminé, le réveil est difficile et la situation pas si facile que ça à accepter. Je pensais te connaître. Qui es-tu vraiment, Croissance ? Je te prie de m’excuser pour les mots qui vont suivre. Il me fallait te conter mes désillusions.

En réalité, tu es un indice mathématique. Tu es l’augmentation continuelle de la production de biens de services et d’échanges dans une économie. Tu es une somme de valeurs ajoutées. Mais tu n’as pas tenu compte de mes remarques sur la qualité de tes productions. Tu continues à la fois de construire/détruire des écoles et de faire travailler des enfants dans les usines, de manière arbitraire en fonction des pays.

En réalité, tu es tout un imaginaire. Pour les néolibéraux, tu incarnes le progrès, la modernité, le positif. Une plante qui croît, un enfant qui grandit. Pour beaucoup, tu es la solution au plein-emploi. Tu nous as été imposée comme la condition du bien-être des populations, mais tu n’apportes le bonheur qu’à 1 % de la population mondiale, c’est-à-dire si peu d’entre nous.

En réalité, tu fais partie intégrante d’un système productiviste. Au meilleur de ta forme, tu as fait croître le PIB de plusieurs pour-cent. Tu te fondes depuis toujours sur le faux techno-scientisme, l’esprit de concurrence, le devoir de compétitivité, le travail comme valeur centrale et fondatrice. Mais j’ai découvert que tes moteurs sont la dette, l’obsolescence programmée et la publicité. Je suis au regret de te dire que tu n’as fait qu’accroître les inégalités. En somme, tu es une illusion. Tu étais pour moi et pour nombre d’entre nous la promesse du bonheur, une croyance, une pensée magique. J’ai juré sur ton nom, et j’ai fait l’erreur de l’amalgame entre l’indice, l’imaginaire et le système.

Des  «  utopistes  » de transition

Je voudrais te dire, Croissance, que j’aspire désormais à la vision cohérente d’une société non violente, sans exploitation de l’homme par l’homme, respectueuse de son environnement, sans obéissance aveugle à la croyance économique, une société de partage qui prône l’économie participative.

En l’occurrence, ma chère Croissance, je ne peux plus supporter que la quête perpétuelle de ton épanouissement nuise à mon bien-être et à celui de ceux qui m’entourent. Il n’y a qu’à remarquer le taux de pauvreté record de ta plus fidèle disciple, l’Allemagne. Il suffit de constater que les chiffres du chômage atteignent de jour en jour des taux record. Personne ne viendra contredire le fait qu’une transition trop radicale ne serait pas efficiente. Il s’agit de maintenir l’argent comme moyen d’échange, de commerce et d’accès à un minimum vital nécessaire. Pour autant, faut-il nécessairement occuper un emploi pour avoir le droit de (sur) vivre ? Eh bien non, Croissance. Et je voudrais te le prouver. Je souhaiterais te proposer des  « uto-pistes  » de transition vers des sociétés soutenables et souhaitables, en redéfinissant la notion d’emploi et sa valeur au sein même de la société.

J’ai suivi les règles du jeu, je persévère un peu plus chaque jour au cœur du système pour me faire ma place. J’ose espérer que tu me seras reconnaissante un jour d’avoir su accepter si longtemps tes conditions malgré nos désaccords. Je ne t’écris pas dans l’espoir d’arranger notre situation en cédant à tes requêtes, mais pour rompre avec toi et tes belles promesses. Je t’écris pour tous ceux pour qui travailler rime avec nécessité. Je t’écris pour tous ceux qui ont cru à l’adage  » tout travail mérite salaire  » sans savoir que pour nombre d’entre eux le salaire ne serait pas proportionnel au mérite. Je t’écris au nom de tous ceux que tu as réduits à la survie à coups de théories économiques, pour ceux que tu as enchaînés et parfois même rendus amoureux de leur propre servitude. Je t’écris au nom de tous les exclus de ta bienveillance et de ta générosité. Au nom de tous ceux qui courent après le  «  plus  » dans l’espoir d’atteindre le  «  mieux » .

Je refuse à présent ce besoin vital d’amasser de l’argent qui caractérise la société que tu as engendrée. Je refuse d’accepter que le travail, cette valeur d’intégration sociale qui a forgé ta réputation, devienne aujourd’hui un facteur d’exclusion pour des millions d’entre nous. Croissance, je ne m’attends plus à ce que tu reviennes. Plutôt que de persévérer dans des schémas dépassés, plutôt que d’user encore et toujours de rustines économiques, j’ai décidé d’ôter mes œillères.

Est-il normal de conditionner la survie à un emploi ? Est-il décent de faire du travail une condition indivisible du droit à la vie ? Il est de notre responsabilité de tirer la sonnette d’alarme et de réclamer un monde qui œuvre pour le mieux et non pour le plus. Il est de notre devoir de refuser tes avances, Croissance, toi qui prends des vies et les ressources limitées de notre planète pour asseoir ta pérennité. Il est de notre devoir de refuser tes référentiels et tes paradigmes qui n’ont aucun sens. Il est de notre devoir de redéfinir la notion d’emploi. Il est temps de décoloniser les imaginaires.

Quand certains de tes grands patrons gagnent au bas mot 508 fois le smic, quand on dépense chaque jour 2 milliards de dollars à des fins militaires à travers le monde ; quand tes actionnaires deviennent rentiers par la spéculation sur les produits alimentaires de base en affamant les enfants ; quand en France, en 2014, 60 % des bénéfices des entreprises ont été accaparés par les actionnaires en appauvrissant plus encore les travailleurs, est-il indécent de réclamer pour chacun de quoi se nourrir, de quoi se loger, et l’accès gratuit à des services publics ?

Un revenu universel accordé à chacun

Je souhaite l’instauration d’un revenu universel accordé à chacun, sans condition d’emploi, de la naissance à la mort, afin de garantir à tous un minimum vital et une vie décente. Il ne s’agit pas uniquement d’un revenu d’existence, mais bien d’un moyen de décentraliser la valeur travail afin d’amener un outil de transition progressive. Il s’agit d’instaurer un outil économique et social capable de nous faire sortir de l’impasse vers laquelle nous entraîne toujours plus vite cette société aux mécanismes de séduction et de contraintes. Il s’agit de questionner le sens de nos consommations et donc de nos productions en participant à la création de gratuités d’usage et de tirage ainsi qu’à une réappropriation de la création monétaire en dehors des logiques de marché. Moins de besoins, moins de travail et plus de temps pour aimer et vivre.

Je réclame ainsi la création d’une  « dotation inconditionnelle d’autonomie » , couplée à un revenu maximum acceptable. Cet outil s’articulerait autour de trois piliers. Un droit d’usage donnant accès à chacun à un logement, au transport, à une parcelle de terre. Un droit de tirage autorisant l’utilisation prédéfinie d’une certaine quantité de ressources telles que l’eau ou l’électricité. Enfin, des versements en monnaie locale fondante qui permettraient l’achat de produit locaux et soutenables, promouvant ainsi une relocalisation ouverte et une économie sociale et solidaire. Ces propositions se fondent sur la gratuité des besoins de base couplée à une forte progressivité des prix pour la consommation supplémentaire. Le redéveloppement des services publics et la création de monnaies locales complémentaires, alliées à un revenu maximum autorisé, constitueraient un outil pour refuser le travail aliénant et redéfinir nos besoins, nos usages et les conditions pour les assouvir.

Je souhaite que, demain, bonheur rime avec temps libre. Je souhaite que, demain, travail rime avec épanouissement et non pas avec contrainte. Je souhaite que demain soit l’avènement d’un monde qualitatif et non quantitatif. Je souhaite que demain voie la réappropriation de la démocratie à travers une société autonome, garantissant la sérénité. Je souhaite que demain soit un autre rapport à l’autre et au temps, un  » travailler moins pour vivre mieux « , pour un meilleur vivre-ensemble. Il est temps de mettre le travail au service de l’homme et non de l’économie. Il est temps de nous affranchir de la centralité de cette valeur travail qui nous déshumanise et fait de nous de simples agents économiques. Il est temps de faire du travail en tant qu’activité, un outil de repolitisation de la société, incitant le citoyen à s’approprier démocratiquement et de manière participative son contenu : qu’est-ce qu’une vie décente ? Qu’est-ce que la sobriété ? Qu’est-ce que le bon usage et le mésusage d’une même ressource ? Comment organiser la société pour permettre à toutes et à tous de vivre dignement ? Comment se répartir les tâches difficiles ? Nous nous devons de répondre à ces questions collectivement. Après avoir fait du  « travail  » un pivot central, pourquoi refuser d’en faire le tremplin vers la définition d’une nouvelle société ?

Chère Croissance, je suis au regret de te prier d’accepter ces mots comme une lettre de rupture. Aujourd’hui je reprends ma liberté par la conscience. Aujourd’hui je n’ai plus peur ni du lendemain ni des autres. Je te remercie pour ce bout de chemin partagé, mais il est inutile de poursuivre notre relation. Nous n’avons plus la même vision de ce qu’est la vie.