Articles du Vendredi : Sélection du 19 juin 2015

COP 21: ça ne suffit pas!

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/cop-21-ca-ne-suffit-pas,59547

Le Pape François convertit l’église catholique à l’écologie sociale

Simon Gouin
www.bastamag.net/Sans-concessions-le-Pape-appelle-a-proteger-notre-bien-commun

« La “croissance verte” est une mystification absolue »

Philippe Bihouix (propos recueillis par Anthony Laurent)
www.reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue

COP 21: ça ne suffit pas!

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/cop-21-ca-ne-suffit-pas,59547

Pour l’AIE, les promesses climatiques des principaux pays ne suffisent pas pour stabiliser le réchauffement à 2°C. Seules solutions: utiliser les meilleures technologies énergétiques disponibles et se préparer à une interdiction de l’utilisation du charbon.

 

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’est livrée à un précieux exercice. Dans un rapport publié ce lundi 15 juin, l’agence de l’OCDE dresse un premier bilan des contributions nationales à la COP 21, les fameuses INDC.

 

Et les estimations faites par les experts de l’institution parisienne sont des plus préoccupantes. Alors que l’échéance de publication des INDC était fixée au 31 mars, seules 12 contributions (dont celle de l’Union européenne et ses 28 membres) figurent ce lundi au compteur de l’ONU.

 

Un réchauffement de 2,6°C

 

En conjuguant les engagements de ces 12 pionniers aux promesses faites par les autres (stabilisation des émissions chinoises en 2030, amélioration de 20 à 25% de l’intensité carbone de l’économie indienne entre 2005 et 2020), l’AIE est catégorique: on est très loin du compte. «Si aucune mesure plus forte n’est prise après 2030, le scénario INDC aboutira à une augmentation moyenne de la température de 2,6°C d’ici 2100, et de 3,5°C d’ici 2200», martèlent les rédacteurs. Or, depuis le sommet climatique de Copenhague en 2009, la communauté internationale entend stabiliser le réchauffement à 2°C d’ici la fin du siècle. Raison pour laquelle les pays membres du G7 ont d’ailleurs proposé de réduire de 40 à 70% leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2010 et 2050. Un effort très en deçà de ceux préconisés pour les pays les plus industrialisés par les climatologues du Giec[1] (-80 à 95% entre 1990 et 2050).

 

5.600 Md$/an de subventions

 

Que faire pour éviter un fiasco à l’issue de la COP 21? L’AIE propose que la communauté internationale s’engage à stabiliser ses émissions dès 2020, avant d’engager leur diminution. «Ce pic peut être atteint en s’appuyant uniquement sur des technologies et des politiques éprouvées», claironnent ses experts: efficacité énergétique, énergies renouvelables, captage-stockage géologique de CO2.

Comme ils le répètent depuis des années[2], les économistes préconisent en outre de mettre un terme aux subventions à la production et à la consommation d’énergies fossiles. Un récent rapport du FMI les évalue à 5.600 milliards de dollars (4.977 Md€) par an: 7% du PIB mondial. Troisième pilier de la sagesse climatique: doubler le montant des investissements en faveur des énergies renouvelables, lesquels devraient atteindre les 400 Md$/an (365,5 Md€) à l’horizon 2030, contre 270 en 2014.

 

 

Autre antienne reprise par le rapport: la réduction des émissions de méthane lors de la production d’hydrocarbures. Cette seule mesure permettrait à la Russie de réduire de 150 millions de tonnes équivalent CO2 ses rejets annuels de GES et d’accroître sa production de gaz naturel.

Sans être la panacée, l’amélioration de l’efficacité énergétique, dans l’industrie, l’habitat ou les transports s’avère extrêmement profitable. Cette maîtrise de la demande d’énergie permettrait ainsi à la Chine d’abattre d’un bon milliard de tonnes par an ses émissions de GES: l’équivalent de 10% de ses émissions actuelles.

 

Haro sur le charbon

 

Nettement moins consensuelle est la dernière des propositions de l’AIE: réduire, dans un premier temps, l’utilisation des centrales au charbon à faible rendement avant d’interdire la construction de nouvelles installations. A l’heure actuelle, le rendement moyen de ces centrales tourne autour de 33%: chaque mégawattheure ainsi produit est à l’origine de l’émission de 1.600 kg de CO2. Les centrales de dernière génération, dites ultra-supercritiques[3],affichent un rendement de 45% et émettent autant qu’une centrale au gaz naturel: 700 kg de CO2/MWh. «Faire passer le rendement moyen des centrales au charbon à 40%, confirme la World Coal Association, éviterait le rejet à l’atmosphère de 2 milliards de tonnes de CO2 par an, l’équivalent des émissions indiennes.»

Si la plupart des grands émergents s’accordent sur le fait qu’il faut assainir leur parc de production d’électricité, il ne s’en trouvera aucun pour suivre l’AIE dans sa proposition de bannir la construction de centrales. Et surtout pas la Chine ou l’Inde, dont l’essentiel de la production d’électricité est d’origine charbonnière.

[1] Giec: Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat

[2] Les pays membres du G20 affirment, depuis 2009, vouloir réduire les subventions aux énergies fossiles.

[3] A l’instar de celle que construit actuellement EDF en Chine,

Le Pape François convertit l’église catholique à l’écologie sociale

Simon Gouin
www.bastamag.net/Sans-concessions-le-Pape-appelle-a-proteger-notre-bien-commun

Un constat ferme des responsabilités humaines, une remise en cause du système économique et de sa sacro-sainte croissance, des combats écologiques associés à la lutte contre la pauvreté et les inégalités, une critique des solutions technologiques et du recours au marché pour faire face aux dérèglements climatiques… La première version de l’encyclique du pape François sur l’écologie, diffusée lundi par le journal italien L’Espresso, envoie un message universel et sans concession, à six mois de la Conférence sur le climat de l’ONU, de Paris. La crise climatique et sociale à laquelle nous faisons face ne pourra être surmontée qu’en engageant un changement radical de « style de vie, de production et de consommation », écrit François qui souhaite s’adresser aux croyants et non-croyants, afin d’éviter « une destruction sans précédent de l’éco-système avant la fin de ce siècle ».

Dans cette encyclique intitulée Laudato si (“Loué sois-tu”), Sur la sauvegarde de la maison commune, le pape réaffirme les responsabilités de l’activité humaine sur le réchauffement global du climat, « un bien commun », et dresse un bilan scientifique détaillé de la crise écologique actuelle. Une crise qui est, pour le chef de l’Église catholique, une crise « éthique, culturelle et spirituelle de la modernité », où l’homme a vu se dégrader sa relation à la Terre comme aux autres hommes. « Nous avons grandi en pensant que nous étions propriétaires et dominateurs de la terre, autorisés à la piller, écrit-il dans cette première version. La violence qui existe dans le cœur humain, blessé par le péché, se manifeste également par les désastres qui affligent la terre, l’eau, l’air et les êtres vivants. » François appelle ainsi au développement d’une écologie intégrale, humaine et sociale.

« Une vraie approche écologique devient toujours une approche sociale »

François critique aussi la consommation compulsive des pays riches, leur culture des déchets et leurs difficultés à reconnaître les conséquences environnementales de leurs choix. Ces conséquences, ce sont les plus pauvres – les pays comme les individus – qui les subissent, affirme le pape. Il estime qu’ « une vraie approche écologique devient toujours une approche sociale », prenant en compte « les droits fondamentaux des plus désavantagés ». « Le réchauffement causé par l’énorme consommation de quelques pays riches a des répercussions sur les endroits les plus pauvres de la Terre, spécialement en Afrique », ajoute François, qui considère que les pays du nord ont une dette écologique envers les pays du sud.

A quelques mois de la COP 21, les pays du nord sont invités à dépasser leurs propres intérêts économiques. « Les négociations internationales ne peuvent pas progresser de manière significative à cause de la position de pays qui privilégient leurs intérêts nationaux plutôt que le bien commun. » Le pape souhaite la création d’une nouvelle autorité mondiale, en charge de « la lutte contre la réduction de la pollution et pour le développement des pays et régions pauvres ».

Critiques sur les crédits carbones et les OGM

S’il loue l’action des mouvements écologistes, il rejette l’idée que la technologie et le système économique actuel soient capables de résoudre la crise écologique. Ainsi, les crédits carbones « pourraient provoquer une nouvelle forme de spéculation et n’aideraient pas à réduire l’ensemble des émissions de polluants ». Au contraire, écrit François, ils favoriseraient la sur-consommation de certains États et secteurs. Le pape s’interroge aussi ouvertement sur les OGM, en les reliant à une « concentration des terres productives dans les mains de quelques-uns », qui va à l’encontre des petits producteurs.

Cette première encyclique écrite entièrement sous le pontificat de François est la première de l’Église catholique à être consacrée à la crise écologique. Fruit d’entretiens avec de nombreux scientifiques et spécialistes des questions écologiques, elle vise à définir la position officielle de l’Église catholique sur ce thème, qui servira ensuite de références pour les évêques, les prêtres et les fidèles. Mais François entend aussi influencer les décideurs politiques, notamment étasuniens. En septembre prochain, il se rendra au siège des Nations unies, à New York, et au Congrès américain, à Washington. Dans un pays où de nombreux citoyens nient encore les causes humaines du réchauffement climatique, les réticences risquent d’être fortes.

 

Mis à jour, 18 juin, 12h50 : lisez l’encyclique du pape François, en français, à partir d’ici.

Sources :

« La “croissance verte” est une mystification absolue »

Philippe Bihouix (propos recueillis par Anthony Laurent)
www.reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue

Auteur de L’âge des Low Tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, l’ingénieur Philippe Bihouix alerte sur l’épuisement croissant des ressources de métaux. Et souligne que, en raison de leur besoin de métaux rares, les énergies nouvelles ne sont pas la panacée : une énergie illimitée et propre est un mythe, il faut… économiser, recycler, relocaliser. Un entretien énergisant.

 

Reporterre – Cinq ans après la sortie de votre livre Quel futur pour les métaux ?, votre diagnostic reste-t-il d’actualité ?

Philippe Bihouix – Mon diagnostic concernant la raréfaction des métaux reste vrai. Il ne peut pas changer, parce que la partie accessible et exploitable des ressources minérales et métalliques est limitée. Ces ressources peuvent être très importantes mais elles sont finies, comme peuvent l’être les ressources d’énergie fossile – pétrole, charbon, gaz – non renouvelables, ou les ressources forestières, halieutiques, et autres, si on les exploite à une vitesse excédant leur taux de renouvellement. Avec une quantité de ressources finie, un pic de production, suivi d’une baisse, est incontournable. C’est mathématique. Comme il y a un pic pétrolier, il y aura un pic énergétique puis, comme production d’énergie et exploitation des ressources sont liées, il y aura au final un pic de tout.

Cela semble inadmissible pour certains, qui s’accrochent au fait que l’énergie solaire incidente est plusieurs milliers de fois supérieure aux besoins énergétiques de l’humanité. Il n’y aurait donc qu’à développer les panneaux photovoltaïques, les centrales solaires à concentration, l’éolien et d’autres énergies renouvelables. Ce ne serait qu’une question de volonté politique, de moyens financiers à mobiliser, de lobbies pétroliers et nucléaires à combattre. Idem pour les métaux. Les géologues nous expliquent que les ressources métalliques sont abondantes, et s’ils reconnaissent que leur qualité et leur accessibilité est en baisse, c’est pour mieux proposer de nouvelles solutions techniques pour les exploiter. On a donc l’impression qu’il n’y a aucun problème.

Or, il y a interaction entre la production énergétique et l’exploitation des ressources. Il faut toujours plus d’énergie pour exploiter des métaux de plus en plus difficiles à extraire : la teneur en métal des minerais tend à diminuer et les mines qui ouvrent aujourd’hui sont moins concentrées que celles qui ferment après épuisement… Il faut aussi toujours plus de métaux pour produire de l’énergie : il faut multiplier les puits pour exploiter le gaz de schiste, par exemple.

Pour appréhender le problème, il est donc nécessaire, comme Dennis Meadows, un des auteurs du rapport au Club de Rome sur la croissance, l’a fait dans les années 1970, d’avoir une approche systémique de ces questions. Et pour moi, le système se tend de plus en plus : la cage à hamster énergético-géologique et minière tourne de plus en plus vite, avec une quantité toujours plus grande de matières et d’énergies englouties pour maintenir la production. Ce processus « extractiviste » devrait encore durer quelques décennies, malheureusement, avec des conséquences environnementales multipliées et aggravées.

 

 

 

Pourquoi la demande mondiale en métaux explose-t-elle ?

L’explosion, relativement récente, de la demande en métaux est due pour l’essentiel à deux phénomènes. D’une part, pour les « grands » métaux industriels (fer, aluminium, cuivre, zinc, plomb…), à l’industrialisation, à l’urbanisation et à la motorisation des pays émergents, Chine et Inde en particulier. D’autre part, pour les « petits » métaux de spécialité, à l’essor des nouvelles technologies. Il y a quarante ans, moins d’une trentaine de métaux étaient utilisés à l’échelle industrielle pour fabriquer les produits du quotidien. D’autres étaient également utilisés, mais en quantités moindres, dans des filières ultra-spécialisées, comme le nucléaire, l’armement, etc.

Aujourd’hui, une soixantaine de métaux sont couramment exploités : le gallium est utilisé dans les diodes électroluminescentes (LED), l’indium dans les écrans plats, le cobalt dans les batteries au lithium, etc. En réalité, tous ces « nouveaux » métaux existaient auparavant, ce sont d’ailleurs souvent des sous-produits issus de l’exploitation industrielle des grands métaux historiques – l’indium est un sous-produit du zinc, le gallium de l’aluminium –, mais ils n’étaient pas raffinés, ou étaient considérés comme des impuretés.

Aujourd’hui, l’industrie leur a trouvé des débouchés. Nous avons « électronicisé » nos vies, alors qu’auparavant nous étions essentiellement entourés d’appareils électriques, ce qui est très différent. Avec l’électronique, et ensuite la micro-informatique, sont apparus de nouveaux besoins et donc de nouvelles contraintes de production : les produits sont plus complexes, doivent être plus petits, plus légers, plus résistants, plus transportables, etc.

Par exemple, il faut utiliser du tantale, assez rare, pour fabriquer des condensateurs plus petits qu’avec l’aluminium, qui est bien plus abondant. Le germanium, lui aussi sous-produit du zinc, est employé pour « doper » la conductivité des fibres optiques. On les retrouve également dans les énergies renouvelables : le néodyme, par exemple, qui présente des caractéristiques magnétiques par unité de poids intéressantes, est souvent préféré à d’autres métaux pour les aimants des générateurs d’éoliennes de forte puissance.

Quand on étudie en profondeur le contenu des produits manufacturés, comme leur procédé de fabrication, il y a toujours, en bout de chaîne, l’exploitation de ressources minérales et métalliques, et tout particulièrement pour les télécoms et l’informatique. L’économie n’est jamais immatérielle.

Que pensez-vous des énergies renouvelables et des technologies dites « vertes » ?

Je ne suis pas contre les énergies renouvelables dans l’absolu. En revanche, je suis contre le mythe d’une énergie qui serait illimitée et propre. Les « technologies vertes » sont, elles aussi, consommatrices de ressources, font appel à des métaux plus rares, et sont en général moins bien recyclables. Dans les énergies renouvelables, on peut trouver le meilleur comme le pire. Les panneaux photovoltaïques au silicium – un métal qui compose 27 % de la croûte terrestre – sont a priori plus vertueux que les panneaux multicouches à haut rendement. Mais même un panneau au silicium contient d’autres métaux, comme du cuivre ou de l’argent pour les contacteurs, par exemple. Idem pour les éoliennes, dont le contenu métallique dépend de la conception, de la puissance, etc. Une solution consisterait à orienter la recherche scientifique en prenant en compte les ressources, plutôt que le seul rendement, physique ou économique.

Mais le problème est plus profond. En France, par exemple, on développe un programme éolien offshore d’un côté, mais de l’autre on multiplie les panneaux publicitaires et les écrans plats énergivores, et on se réjouit du développement des big data et des centres de données ! En réalité, le développement des énergies renouvelables ne permet pas, et ne permettra pas, de maintenir notre niveau effarant de dépense énergétique et d’absorber la croissance continue de notre consommation matérielle.

Il est insensé de croire que l’on peut réduire les émissions de gaz à effet de serre significativement sans réduire massivement notre consommation énergétique. De ce point de vue, la « croissance verte », qui élude la question de nos modes de vie, est une mystification absolue. Les chiffres le montrent aisément.

 

Votre dernier livre portait sur les « low tech ». De quoi s’agit-il ?

Cette expression est avant tout un pied-de-nez à la « high tech », au mirage des technologies salvatrices. Dans ce livre, je pose les questions fondamentales suivantes : pourquoi produit-on ? Que produit-on ? Et comment produit-on ? Mon propos est de dire que l’on pourrait d’ores et déjà produire moins sans que notre qualité de vie en pâtisse, bien au contraire. Par exemple, on pourrait supprimer le million de tonnes de prospectus publicitaires qui sont distribués chaque année. On pourrait étendre le rechapage des pneus à tous les véhicules, comme cela se fait déjà pour les avions et les camions. On pourrait rétablir la consigne pour les emballages et favoriser la vente en vrac. On pourrait progressivement limiter la vitesse maximale, brider les moteurs, interdire les voitures trop puissantes. La voiture « propre » n’existe pas, mais en attendant de tous enfourcher un vélo, la voiture à 1 litre au 100 km est à portée de main. Simplement, elle fait 500 kg et ne dépasse pas les 80 km/h, ce qui suffirait pour une large part des besoins de déplacement.

En même temps, il faut pousser l’éco-conception au maximum. Il faut que les produits que l’on utilise tous les jours soient plus facilement réparables, réutilisables, modulaires, à plus longue durée de vie, constitués d’un seul matériau plutôt que de matériaux composites, etc. Il faut accepter d’avoir des produits un peu moins performants, légers, esthétiques.

Enfin, la façon dont on produit ces biens est également cruciale. Aujourd’hui, l’organisation industrielle mondiale est telle que quelques usines fabriquent des quantités phénoménales de produits. La part du travail humain se réduit toujours plus, au profit de la mécanisation, des robots et bientôt des drones. Au contraire, il faut relocaliser une partie de cette production, retrouver l’échelle du territoire, des petites entreprises, des ateliers, de l’artisanat, d’un tissu industriel et commercial à l’échelle de l’Homme.

Se pose alors inévitablement la question – épineuse mais inévitable – du protectionnisme et de l’échelle des territoires à protéger. Soyons là aussi réalistes : comment une industrie chimique locale, nationale ou même européenne, aux normes environnementales élevées et intégrant pleinement un coût du carbone, pourrait-elle résister à l’industrie des gaz de schiste américains, ou au gaz « gratuit » du Qatar ? Comment des élevages de taille moyenne pourraient-ils concurrencer la production brésilienne et les poulets trempés dans le chlore ? La logique du « consomm’acteur » ne suffira pas, il faut se donner les moyens réglementaires et normatifs de faire émerger et prospérer des solutions plus vertueuses.

Comment la civilisation occidentale peut-elle devenir « techniquement soutenable » ?

En travaillant sur la sobriété avant tout, et en déployant des solutions intelligentes en parallèle. Il est nécessaire de réduire notre consommation énergétique – et pas seulement électrique – de 75 à 80 %. On a également besoin de mettre en œuvre un mix pertinent d’énergies renouvelables décentralisées avec, par exemple, du solaire thermique pour l’eau chaude, une part de photovoltaïque, d’éolien, de micro-hydraulique et de biogaz.

Il faut surtout que l’on accepte les contraintes d’une production énergétique intermittente pour renouer avec les rythmes de la nature, car sinon il faudra installer des surcapacités énormes, et le système de stockage qui va avec, et surtout les faire durer dans le temps. Compte tenu de la consommation de ressources non renouvelables, pour partie non recyclables, que cela engendrerait, un tel scénario industriel ne serait effectivement pas soutenable, et absolument pas généralisable au monde entier.

L’économie circulaire a le vent en poupe. Qu’en pensez-vous ?

L’économie circulaire me rappelle furieusement le développement durable. Comme lui, ça va faire « pschitt ! ». L’économie circulaire est un concept très vague, tellement vague que tout le monde s’y retrouve, à la fois les citoyens, les associations, les industriels, les multinationales, les politiques, etc. C’est pour cela que l’économie circulaire est à la mode : il n’y a pas de définition stabilisée, chacun y met ce qu’il y veut et on peut même y « recycler » quelques bon vieux concepts : écologie industrielle, économie de la fonctionnalité, économie du partage…

Selon la définition de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), l’économie circulaire est un système économique qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources à tous les stades du cycle de vie des produits. Il s’agit de « faire plus avec moins ». C’est beau, mais utopique, car on ne sait pas découpler de manière absolue croissance du PIB et décroissance de la consommation matérielle et pollution.

Il faudrait plutôt « faire un peu moins avec beaucoup moins » ! Comme les taux de prélèvement des ressources naturelles et le volume d’émission des gaz à effet de serre atteignent des niveaux hallucinants, il faut plutôt écraser la pédale de frein le plus vite possible, mais le plus intelligemment possible, en essayant de maintenir l’essentiel de notre « confort ».

Quelles sont, selon vous, les limites du recyclage ?

Le recyclage présente trois limites, une mineure (à court terme) et deux majeures. La mineure, comme l’a justement perçu l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen, c’est l’usure liée au deuxième principe de la thermodynamique : on ne recycle jamais à 100 %, il y a toujours des pertes.

La première limite majeure, c’est l’existence des alliages. Les métaux ne sont pas utilisés dans leur forme pure, mais de petites quantités de métal sont généralement mélangées à un ou deux « grands » métaux : par exemple, dans l’acier pour améliorer ses qualités, mais aussi pour fabriquer des laitons, ou des alliages « high tech » en très petites quantités dans les appareils électroniques. Selon les mélanges, et en fonction des quantités, une partie de la ressource n’est pas récupérable en fin de vie. Souvent, les métaux non ferreux ou précieux sont physiquement récupérés, mais ils sont perdus fonctionnellement, il y a aussi une dégradation de l’usage : un acier recyclé ne retrouve pas son utilisation première et servira, par exemple, à fabriquer des ferraillages pour la construction.

La seconde limite majeure au recyclage, c’est l’usage dispersif. Les métaux ne sont pas toujours utilisés sous forme métallique, ils le sont aussi beaucoup sous forme chimique. Le cas le plus emblématique, c’est le titane, qui est employé à 95 % comme colorant blanc universel, dans les cosmétiques, les plastiques, etc. Le cobalt, lui, sert à faire du bleu, le chrome du vert ou du jaune, etc. Un autre exemple : l’antimoine est intégré dans les produits électroniques comme retardateur de flammes. L’étain et le cuivre sont présents dans les peintures anti-algues pour les bateaux, etc. Or, il est quasiment impossible de récupérer tous ces métaux dispersés.

Au final, les « grands » métaux industriels (comme l’aluminium, le cuivre, le nickel, etc.) sont recyclés au-delà de 50 % – et même jusqu’à 95 % au moins pour le plomb. Mais les métaux de spécialité, employés en très petites quantités ou dans des alliages – comme beaucoup de métaux utilisés dans l’électronique, ou les terres rares –, ont souvent des taux de recyclage qui se situent entre 1 et 10 %.

 

 

 

 

Si la fuite en avant énergético-minière se poursuit, quelles pourraient en être les conséquences géopolitiques et socio-politiques ?

Il faut regarder les choses en face, la situation va s’aggraver. Nos dirigeants font semblant d’appuyer sur le frein avec un discours lénifiant sur le développement durable, alors qu’ils appuient à fond sur l’accélérateur ! Il n’y a qu’à voir les appels à l’innovation, les subventions accordées, tous les projets qui sortent concernant les nanotechnologies, la biologie de synthèse, le numérique, les objets connectés, la robotique, etc. Tout le monde s’émerveille face à ces nouveautés, mais la voie que nous poursuivons est en réalité mortifère, tant du point de vue de la consommation de ressources et d’énergie que de la génération de déchets électroniques ingérables.

Quelles en seront les conséquences ? Les tensions géopolitiques autour des ressources minières sont moins prégnantes que celles concernant les ressources énergétiques. Toutefois, un nationalisme minier émerge en Chine, en Australie, en Russie. La France devra sans doute entretenir dans les années à venir de bonnes relations avec ces pays, comme avec le Brésil, l’Afrique du Sud. Mais on n’est pas à l’abri de nouvelles périodes de tension, comme dans les années 2006 à 2008, quand le prix du pétrole a flambé et avec lui le prix des métaux.

En France, de plus en plus de personnes ont conscience que les ressources mondiales sont limitées et qu’il faudra les partager au sein d’une population toujours plus nombreuse. D’un point de vue strictement socio-économique, cela ne peut mener qu’à une augmentation du prix de ces ressources, et donc à une inflation générale des prix, sans l’inflation équivalente des salaires et du pouvoir d’achat bien sûr, puisqu’en gros, il faudra payer toujours plus les matières premières essentiellement importées, alors que la concurrence de la main d’œuvre maintiendra la pression sur les revenus du travail.

Si nous ne savons pas nous passer de ces ressources énergétiques et minières – par la sobriété et un recyclage meilleur –, il y aura une paupérisation, progressive mais inéluctable, de la population. A voir les clivages et les tensions qui traversent la société française, et le sentiment d’appauvrissement partagé par de plus en plus de personnes, nous en prenons effectivement le chemin, et tenter de maintenir le statu quo industriel et économique actuel promet de grandes frustrations et une instabilité politique accrue.