Articles du Vendredi : Sélection du 23 janvier 2015

La planète a atteint ses limites

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/la-planete-a-atteint-ses-limites_4557476_3244.html

Comment New York veut devenir une métropole résiliente

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/comment-new-york-veut-devenir-une-metropole-resiliente,54265?xtor=EPR-9

Relancer la lutte contre les inégalités environnementales

Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/relancer-la-lutte-contre-les-inegalites-environnementales,54364?xtor=EPR-9

Ces 1% de riches qui vont capter autant de richesses que les 99% restant de la planète

Christian LOSSON
www.liberation.fr/economie/2015/01/19/ces-1-de-riches-qui-vont-capter-autant-de-richesses-que-les-99-restant-de-la-planete_1183913

Economistes atterrés: «Il faut un choc de la demande verte»

Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/economistes-atterres-il-faut-un-choc-de-la-demande-verte,54493?xtor=EPR-9

Pour le climat, pétrole et charbon devront rester largement inexploités

AFP
www.goodplanet.info/actualite/2015/01/08/pour-le-climat-petrole-et-charbon-devront-rester-largement-inexploites/

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La planète a atteint ses limites

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/la-planete-a-atteint-ses-limites_4557476_3244.html

Réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, perte de nutriments agricoles… jusqu’à quel point l’humanité peut-elle modifier son environnement sans risquer d’importants désagréments ? C’est en cherchant à répondre à cette question qu’une équipe de chercheurs internationaux a forgé, en 2009 dans Nature, la notion de « limite planétaire ». Leurs travaux, qui font date, identifiaient les seuils-limite à ne pas franchir pour éviter que « le système-Terre ne bascule dans un état très différent [de l’actuel], probablement bien moins favorable au développement des sociétés humaines ».

 

Vendredi 16 janvier, dans la revue Science, la même équipe publie une mise à jour de cette étude et identifie quatre limites déjà franchies ou en cours de dépassement. Ces conclusions seront présentées au Forum économique mondial qui se tient à Davos (Suisse) du 21 au 24 janvier.

Changement climatique

Selon les chercheurs, les principales limites transgressées sont celles du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Les deux autres seuils franchis relèvent de dégâts locaux : l’un tient au changement rapide d’utilisation des terres, l’autre à la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore – deux éléments essentiels à la fertilité des sols.

Sur le front du climat, les auteurs estiment que la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) ne doit pas dépasser une valeur située quelque part entre 350 parties par million (ppm) et 450 ppm. La teneur moyenne actuelle est d’environ 400 ppm, soit au beau milieu de la ligne rouge. « Il y a une marge d’incertitude importante, dit le climatologue Will Steffen (université nationale australienne, université de Stockholm), premier auteur de l’étude. Cela signifie qu’au dessus de 350 ppm il y a une augmentation du risque d’effets dommageables dans certaines régions, comme ce que l’on peut par exemple observer avec les canicules et les sécheresses en Australie. Et au-dessus de 450 ppm, nous pensons avec un bon niveau de confiance que les impacts toucheront l’ensemble du globe. »

Ainsi, selon Johan Rockström, directeur du Stockholm Resilience Center de l’université de Stockholm et coauteur de l’étude, l’objectif des deux degrés de réchauffement, fixé par la communauté internationale comme limite à ne pas dépasser, « représenterait déjà, même s’il était atteint, des risques significatifs pour les sociétés humaines partout sur Terre ».

Erosion de la biodiversité

L’actuelle érosion de la biodiversité est sans appel. Les auteurs estiment que la diversité du vivant peut s’éroder à un rythme de 10 espèces par an sur un capital d’un million, sans impacts majeurs pour les sociétés humaines. Cette limite est largement dépassée par le taux d’érosion actuel, 10 à 100 fois supérieur. « Attention : la biodiversité ne se réduit pas à une liste d’espèces et d’autres indicateurs sont également pertinents, commente pour sa part le biologiste Gilles Boeuf, président du Muséum national d’histoire naturelle. Ici, les auteurs ont également cherché à estimer le maintien de l’intégrité des fonctions remplies par la biodiversité, en raisonnant par exemple au niveau de groupes d’espèces qui remplissent des fonctions semblables. »

« Par rapport à notre publication de 2009, l’une des avancées est que nous identifions les limites planétaires sur le climat et la biodiversité comme fondamentales, explique Will Steffen. Car transgresser une seule d’entre elles a le potentiel de conduire le système-Terre dans un nouvel état. »

Changement d’usage des sols

Etroitement lié à la perte de biodiversité, le changement rapide d’usage des sols est, lui aussi, globalement hors limite. Les chercheurs estiment ainsi qu’il faudrait conserver 75 % de couvert forestier dans les zones auparavant forestières ; au niveau mondial, le taux moyen actuel est estimé à tout juste un peu plus de 60 %. Cependant, cette moyenne cache de grandes disparités : alors que le Brésil (pourtant fréquemment cité comme mauvais exemple) demeure dans la zone de sécurité, l’Afrique équatoriale, et l’Asie du sud sont largement au-delà du seuil de 75 %…

Cette course aux terres arables cache un autre enjeu, souvent méconnu du grand public et des décideurs. La quatrième limite franchie est, selon Will Steffen et ses collègues, la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore qui assurent la fertilité des sols agricoles. Ces perturbations sont principalement causées par l’utilisation excessive d’engrais et la mauvaise gestion des effluents des exploitations animales.

Flux de phosphore

« Un des changements majeurs depuis la publication de 2009 concerne la révision des limites planétaires liées aux flux de phosphore, explique Philippe Hinsinger, chercheur (INRA) au laboratoire Eco&Sols (Montpellier Supagro, IRD, Cirad, INRA), spécialiste des cycles biogéochimiques et qui n’a pas participé à l’étude. Le précédent article tirait déjà la sonnette d’alarme concernant le cycle de l’azote, en montrant que nous avions déjà dépassé la limite de l’acceptable mais ils considéraient que dans le cas du phosphore, nous nous approchions de la limite sans toutefois la dépasser. » C’est désormais chose faite. En particulier, précise en substance M. Hinsinger, la prise en compte des flux de phosphore vers les écosystèmes aquatiques d’eaux douces, via les déjections animales des grandes zones d’élevage hors-sol, ou l’érosion des terres agricoles chargées d’engrais phosphatés, fait bondir l’addition.

« Comme le pointent les auteurs, cela devrait nous inciter à mettre en place une gouvernance planétaire pour évoluer vers une meilleure utilisation de nos ressources en phosphore, poursuit M. Hinsinger. D’autant que les phosphates naturels, qui servent à produire les engrais phosphatés, ont été recensés en 2014 par la Commission européenne comme faisant partie des 20 matières premières critiques, et c’est la seule qui concerne directement les questions de sécurité alimentaire. »

Au chapitre des bonnes nouvelles, l’étude estime qu’en moyenne mondiale, concernant l’utilisation d’eau douce, l’intégrité de la couche d’ozone, l’acidification des océans, les indices sont en deçà des limites calculées par les chercheurs. Quant à la quantité d’« entités nouvelles » (molécules de synthèse, nano-particules, etc.) que le système-Terre est capable d’absorber sans dommage, les chercheurs s’avouent incapables de définir une limite. Celle-ci existe sans doute, mais nul n’est aujourd’hui capable de dire si nous l’avons franchie, ou non.

Comment New York veut devenir une métropole résiliente

Valéry Laramée de Tannenberg
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Outre la mise en place d’une ambitieuse politique d’atténuation, la mégapole américaine se prépare activement à la montée du niveau de la mer.

La capitale économique américaine est l’une des premières métropoles planétaires à mettre en œuvre une stratégie climatique globale. Sous la dernière mandature du charismatique Michael Bloomberg, la Grosse pomme s’est doté d’un plan de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre: réduction d’un tiers de ses rejets de CO2[1]. Ambitieux, si l’on garde en tête que la première ville des Etats-Unis prévoit d’accueillir un million d’habitants supplémentaires d’ici à 2030.

Pour atteindre son but, New York entend réduire le facteur carbone de l’électricité qu’elle consomme (actuellement 306 grammes de CO2 au kilowattheure, comme en Europe), construire 314.000 logements consommant peu d’énergie à proximité des réseaux de transports publics, planter un million d’arbres et accroître la valorisation des déchets.

Le cataclysme Sandy

A l’origine des trois quarts des émissions carbonées, les propriétaires d’immeubles devront agir, eux aussi. En commençant par des audits de performance énergétique. En cours de dépouillement, leurs résultats pourraient inciter la mairie à revoir à la hausse les normes de construction, voire à imposer une taxe sur les passoires thermiques.

 

Ça, c’était jusqu’en octobre 2012. Le 29 octobre, l’ouragan Sandy balaie la côte orientale des Etats-Unis, occasionnant des dizaines de victimes et près de 50 milliards de dollars de dégâts (42 Md€). A cette occasion, New York (re)découvre sa vulnérabilité aux inondations. Sous l’effet des fortes précipitations cycloniques, du vent et de la marée, une bonne partie de Manhattan, de Staten Island et du Queens se retrouvent sous les eaux. Les voies de circulations et les lignes de métro sont coupées. Coupés aussi, les réseaux de gaz et d’électricité: 600.000 New Yorkais se retrouvent dans le noir plusieurs jours durant. Le black out finit par atteindre les bâtiments vitaux, tels les hôpitaux, dont les groupes électrogènes ne pouvaient être alimentés en gazole.

850 kilomètres de côtes

Le calme revenu, la municipalité passe à l’action. L’équipe Bloomberg commande à son bureau de l’urbanisme l’élaboration d’une stratégie d’adaptation aux conséquences des changements climatiques. Elle complètera le programme d’atténuation lancé en 2007. En ligne de mire des autorités: la protection contre la montée des eaux. Un travail de titan. «On l’oublie souvent, mais la ville de New York est bordée de 850 kilomètres de côtes. Il est donc parfaitement irréaliste de vouloir monter des digues, sauf bien sûr à des endroits stratégiques», souligne Cécilia Kushner en charge de la lutte contre les inondations au sein du bureau de l’urbanisme.

En quelques mois, les experts du City Planning font les comptes: 71.500 bâtiments abritant 400.000 New-Yorkais se trouvent en zone inondable. Des chiffres qui pourraient doubler d’ici à 2050. Dans la foulée, la ville se dote d’un bureau dédié à la résilience. Priorité va à l’énergie. «Après le passage de Sandy, beaucoup de réfugiés n’ont pu rentrer chez eux ni retourner travailler car le courant n’avait pas été rétabli», explique Cécilia Kushner. Les compagnies de distribution de gaz et d’électricité ont été priées de renforcer leurs réseaux. Les protections contre les eaux de certaines sous-stations électriques ont été durcies.

Préparation à la vie amphibie

Les logements n’ont pas été oubliés. Contrairement à maints pays d’Europe, les Etats-Unis n’interdisent pas de construire dans les zones inondables. Pas question, donc, de déplacer les habitants des maisons et des immeubles les pieds dans l’eau. Au contraire, New York leur impose de se préparer à la vie amphibie. Ce qui ne se fera pas sans peine. Durcie en 2012 et 2014, la législation fédérale augmente d’année en année (parfois de 18%/an) les primes d’assurance des propriétaires qui ne protègeront pas leurs immeubles situés en zone inondable. Dissuasif.

Ceux qui restent devront investir. Et réaliser les travaux, parfois conséquents. Souvent occupés par des familles de la Middle Class, les pavillons de plain pied devront être rehaussés d’un étage pour éviter que leurs occupants ne s’y retrouvent piégés par les flots. Pour réduire la puissance de l’eau, les façades situées face à l’océan seront protégées par une haie vive. Les portes et les fenêtres devront être renforcées pour éviter d’être enfoncées par les eaux.

Les nouvelles règles d’urbanisme dissuadent aussi l’installation d’habitants (de leur pièce à vivre surtout) en sous-sol ou en rez-de-chaussée dans les immeubles à étage. Tous les systèmes domestiques vitaux (disjoncteur, par exemple) devront être situés dans les étages supérieurs. Pas sûr dans de telles conditions que les New-Yorkais les plus modestes aient encore les moyens d’habiter à proximité de l’océan.


[1] L’objectif a été porté à – 80% entre 2014 et 2050 par le nouveau maire Bill De Blasio, élu en 2014.

Relancer la lutte contre les inégalités environnementales

Stéphanie Senet
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Alors que les inégalités environnementales et sociales restent traitées séparément, le Conseil économique, social et environnemental précise leurs liens. Dans son avis adopté le 14 janvier, il propose notamment de créer un observatoire des inégalités environnementales et plusieurs pistes d’action.

 

Face au changement climatique, aux pollutions de l’air, de l’eau et des sols, ou à la destruction des écosystèmes, tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Mieux comprendre ces différences permettra donc de mieux agir, selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui recommande d’intervenir à trois niveaux principaux: une identification précise des inégalités environnementales, une meilleure participation du public aux politiques visant à les réduire, ainsi qu’une responsabilité et une réparation accrues en cas de dommage.

Un observatoire s’impose

Résultant d’une auto-saisine de la section de l’environnement, ce rapport estime que la priorité doit être donnée à l’identification des inégalités en matière de santé et à leur traitement. Plus largement, les données concernant toutes les inégalités environnementales doivent être compilées, analysées, et partagées au sein d’un observatoire intégré, sur le modèle de l’Observatoire de la précarité énergétique.

A ce jour, il existe déjà une plate-forme d’analyse (PLAINE) au sein de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Son développement permettrait déjà de mieux cibler, au niveau régional, les plans de prévention (PRSE). Bien sûr, la recherche sur les liens entre santé et environnement doit être encouragée «par le renforcement des registres français de santé publique», aujourd’hui insuffisants, «notamment sur les zones de production nucléaire, de retraitement des combustibles usés et des principales unités chimiques», estiment les auteurs du rapport.

Lutter contre la pollution sonore et atmosphérique

Autre objectif: les nuisances sonores, alors que 17 millions de personnes, proches d’une infrastructure de transport, sont exposées à un niveau dépassant 55 décibels (dB). «Si les dispositifs de protection et d’isolation progressent dans les bâtiments, les dépenses pour réduire ces nuisances à la source ralentissent depuis 2008», note le Cese, se référant aux statistiques publiées par le ministère de l’écologie.

En matière de pollution de l’air, l’heure est aussi à l’action d’urgence. Le diagnostic est connu, mais il faut désormais «dresser un bilan anticipé des plans de protection de l’atmosphère et des 35 mesures préconisées par le Comité interministériel» (voir JDLE).

Bien sûr, la rapporteure Pierrette Crosemarie (CGT) insiste sur la nécessité d’accélérer la lutte contre la précarité énergétique ainsi que d’agir en faveur d’un habitat décent pour tous. Plus largement, l’introduction dans la loi du principe «d’évaluation d’impact sur la santé» permettrait de faire entrer le champ santé-environnement dans les politiques publiques, en particulier en matière d’urbanisme, mais aussi de logement, de transport ou de développement économique.

Les spécificité de l’Outre-mer

Le Cese relève aussi la situation critique de l’Outre-mer face au changement climatique. Alors que le niveau de la mer s’est élevé de 1,5 à 3 millimètres par an en moyenne au niveau mondial entre 1993 et 2011, il a gagné 2 à 3 mm à Saint-Pierre-et-Miquelon, 3 à 5 mm en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte et jusqu’à 9 mm à La Réunion. Dans ces territoires, il est recommandé de mettre en place des plans précis de vulnérabilité, et d’intégrer ces risques dans les études de réalisation d’ouvrages en zone côtière.

 

 

Aux Antilles, la lutte contre les effets du chlordécone (utilisé de 1972 à 1993) doit aussi se poursuivre au-delà de 2016 (date de fin du troisième plan d’action national), tout comme l’étude Kannari sur la santé, la nutrition et l’exposition au chlordécone de la population, dont les résultats doivent être publiés en 2015 par l’Agence régionale de santé de Martinique et l’Institut de veille sanitaire (INVS).

Des progrès à faire sur les alertes et les réparations

Si la loi du 16 avril 2013 protège les lanceurs d’alerte, le décret d’application, annoncé initialement pour décembre 2013, n’a été publié que le 28 décembre 2014 au Journal officiel. Il précise enfin la composition de la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement. Mais le Cese souhaite aller au-delà en ouvrant le champ de compétence des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à toutes les questions environnementales. Même lorsqu’il n’existe pas de dispositif dangereux au sein de l’entreprise.

Consacré par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art 191-1), le principe du pollueur-payeur affiche encore de nombreux manques dans l’Hexagone, en particulier pour la gestion des déchets (voir le JDLE), et de l’eau. «Ce principe du Code de l’environnement devrait redevenir, dans tous les secteurs, un principe d’action, une dimension essentielle des projets tant publics que privés», recommande le Cese.

Enfin, pour généraliser la réparation d’un préjudice écologique, la solution se trouve dans l’inscription de cette notion dans le Code civil. Promis avant fin 2013 par la garde des Sceaux, ce texte n’est toujours pas inscrit à l’agenda parlementaire.

 

Ces 1% de riches qui vont capter autant de richesses que les 99% restant de la planète

Christian LOSSON
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Dans un rapport à la veille du sommet de Davos, Oxfam fustige une «insatiable» quête de richesse sur fond d’explosion des inégalités.

En 2016, les 1% les plus riches possèderont en patrimoine cumulé plus que les 99% restant de la population mondiale. Une «insatiable» quête de richesse, sur fond d’explosion des inégalités, qu’un rapport d’Oxfam entend dénoncer à la veille du forum économique mondial de Davos, qui se tient du 21 au 25 janvier en Suisse. Explications.

L’accélération de la captation

Pour parvenir à ce chiffre, Oxfam s’est notamment basé sur les données d’une étude du Crédit Suisse. Qui rappelle que la part du patrimoine mondial détenu par les 1% les plus riches en 2009 est passée de 44% en 2009 à 48% en 2014. Et que s’il reste 52% aux 99% restants, la quasi-totalité de ces 52% sont aux mains des 20% les plus riches. Au final, 80% de la population mondiale doit se contenter de seulement 5,5% des richesses. «Si cette tendance de concentration des richesses pour les plus riches se poursuit, ces 1% les plus riches détiendront plus de richesses que les 99% restants d’ici seulement deux ans», note Oxfam. Car l’accaparement et la concentration des richesses s’accélère. Et Oxfam tente d’affiner ce chiffre en s’appuyant sur l’évolution du nombre de milliardaires, basé, cette fois, sur les chiffres d’un classement actualisé de Forbes sur ces personnes qui possèdent, en revenus, autant que la moitié de la population mondiale, soit 3,5 milliards de personnes. Ainsi, si les 85 personnes les plus riches de la planète trustaient autant que 50% des plus pauvres de la population mondiale en 2013, elles sont aujourd’hui 80 à posséder autant que 3,5 milliards de personnes en 2014. «Une spectaculaire accélération de la concentration de la richesse», rappelle l’ONG, car il fallait 388 milliardaires en 2010. «En termes nominaux, le patrimoine des 80 personnes les plus riches du monde a doublé entre 2009 et 2014.»

 

 

Le poids de secteurs clés et du… lobbying

La finance et la pharmacie se portent bien. Le patrimoine des milliardaires financiers a augmenté de 11% en douze mois, de mars 2013 à mars 2014 ; celui des pharmaciens a, lui, bondi de 47%. «Les multinationales les plus prospères de ces secteurs dégagent d’énormes bénéfices, écrit Oxfam. Elles gèrent d’importantes ressources qu’elles utilisent pour rétribuer leurs propriétaires et leurs investisseurs, gonflant ainsi leur fortune personnelle.» Les multinationales que possèdent les 1% les plus riches sont de plus en plus féroces dans leurs rapports de forces avec les Etats. Ainsi, le lobbying dans les deux plus grosses puissances mondiales (Europe et Etats-Unis) a à lui seul dépassé le milliard de dollars, réparti à égalité entre les deux entités. Objectif, selon l’ONG : «Etablir un environnement réglementaire qui protège et renforce leurs intérêts». Un interventionnisme de plus en plus virulent que dénoncent avec force des réseaux citoyens, tels que Corporate europe observatory, qui organise même des lobbies tours à Bruxelles pour tenter de démontrer comment, lors de négociations telles que celles en cours sur un accord transatlantique entre les Etats-Unis et l’Europe, les lobbies pèsent d’un poids capital. «La force de lobbying de ces secteurs», redoute Oxfam, peut être «un obstacle majeur à la réforme du système fiscal international et impose des règles de propriété intellectuelle qui empêchent les plus pauvres d’accéder à des médicaments vitaux

La crise profite aux plus riches

On l’oublie un peu vite, mais malgré la crise économique en Europe, le patrimoine privé des Européens n’a jamais été aussi prospère. Une autre étude publiée par la banque suisse Julius Baer, publiée en octobre 2014, rappelait que le patrimoine privé des Européens n’a jamais été aussi haut, avec plus de 56 000 milliards de dollars. Pire, les inégalités sont parties pour exploser davantage, le patrimoine des Européens devant atteindre 80 000 milliards d’euros d’ici à 2019, soit une hausse de 40%. A l’arrivée, 10% des ménages détiennent plus de la moitié de la fortune globale du Vieux continent. Aux Etats-Unis, 5% détiennent 85% des richesses. Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord, rappelait le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans son livre-choc Le prix de l’inégalité, «le taux d’imposition moyen en 2007 des 400 ménages les plus riches n’a été que de 16,6%, loin en dessous des 20,4% que paient les contribuables en général.» Ensuite, parce qu’ils ont accaparé les rouages de la machine politique. «Ce sont eux qui fixent les règles du jeu politique qu’ils mettent au service de leurs intérêts» ; la moitié des élus du Congrès sont ainsi millionnaires, a rappelé l’an passé une analyse du Center for responsive politics. Enfin, parce que la vague de dérégulation leur a servi. «En trente ans, les salaires de 90% des Américains n’ont augmenté que de 15%, tandis que les salaires du 1% supérieur ont bondi de 150% ! Et ceux du 0,1% supérieur de plus de 300%.» De quoi alimenter le vent de fronde qui, de New York à Londres, en passant par Madrid, a poussé les Indignés dans la rue. «Nous sommes les 99%», martelaient-ils, par opposition aux 1% qui accaparent le pouvoir et la richesse.

Economistes atterrés: «Il faut un choc de la demande verte»

Stéphanie Senet
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Le collectif des Economistes atterrés a présenté, ce 16 janvier, son «Nouveau manifeste»[1] dans lequel il propose une économie alternative à l’austérité, à la précarité, au chômage et à la pauvreté. Un projet de société où l’écologie représente la seule issue possible au néolibéralisme. [1] Ed. Les liens qui libèrent, parution le 21 janvier 2015

Plus de 20 plumes se sont rassemblées autour de cet opus vivifiant, représentant la suite logique du premier manifeste publié en novembre 2010. Après avoir tiré les conclusions de la crise provoquée par les dérives de l’industrie financière, ces nouveaux économistes, dont était proche feu Bernard Maris, récidivent en proposant des clés pour une société alternative au néolibéralisme, basée sur la démocratie, l’égalité, la réhabilitation de l’intervention publique, l’initiative des citoyens et l’écologie.

«Force est de constater que non seulement les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été tirées, mais en plus l’Europe a poussé encore plus loin les limites de ce modèle qui a échoué en développant sa politique d’austérité, catastrophique pour le chômage et la dette publique», lance Christophe Ramaux, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne et enseignant à l’université Paris I.

Relancer la demande et le plein emploi

Les Economistes atterrés ont identifié plusieurs chantiers dont ils ont présenté les grandes lignes, 5 jours avant la sortie du Nouveau manifeste. L’écologie y occupe une place centrale, puisque «l’aspect social et l’aspect écologique de la crise se renforcent. Les plus pauvres, dans les pays riches et encore plus dans les pays moins développés, sont et seront les plus durement touchés par la dégradation écologique», écrivent-ils. Conclusion: la relance de l’activité doit se faire en fonction des nouveaux objectifs environnementaux. «Il faut arrêter d’augmenter la compétitivité par de bas salaires. Cela ne fonctionne pas puisque les entreprises ne créent pas plus d’emplois», observe Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’université Paris 13 et co-président du Collectif. «Il faut un choc de la demande verte et arrêter la politique de l’offre qui ne marche pas. Il faut au contraire favoriser le plein emploi en développant massivement les trois chantiers urgents que sont la rénovation thermique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables et des transports collectifs», poursuit Christophe Ramaux.

Une fiscalité écologique et solidaire

Comment les financer? «Par l’épargne, les banques publiques d’investissement, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières et sur les activités nuisibles, qui favorisent la pollution ou la spéculation, par le renforcement de l’imposition des sociétés, par la lutte contre la fraude fiscale qui s’élève à 70 milliards d’euros par an», répond Philippe Légé, maître de conférences en économie à l’Université de Picardie. Quid des produits financiers verts? Le collectif les écarte, estimant qu’ils ne parviennent pas à répondre aux défis écologiques, comme le montre l’échec du marché européen de quotas d’émissions, avec un prix de la tonne de CO2 devenu imprévisible et ridiculement bas. Au total, le coût de la transition énergétique est évalué à 350 Md€ par an, pendant 10 ans, dans l’Union européenne. «Le coût de l’inaction serait bien plus élevé», rappelle le groupe.

Une intervention publique et des initiatives citoyennes

Les économistes atterrés en sont convaincus. Accompagnée de lois d’objectifs, la fiscalité écologique doit aussi être incitative pour aider les productions non polluantes, privilégiant la durée de vie des produits plutôt que leur obsolescence programmée, ainsi que l’agriculture de proximité, biologique ou agro-écologique au détriment de l’agriculture intensive, grosse consommatrice d’énergie et d’intrants chimiques. «La politique agricole commune, qui représente un tiers du budget total de l’Union européenne doit être revue en fonction de ces nouvelles exigences», affirme le Nouveau manifeste, alors que le verdissement souhaité lors de la dernière réforme de la PAC a passablement échoué. Pour être durable, la transition énergétique doit aussi s’appuyer sur une forte intervention publique, des initiatives de collectivités locales et de citoyens.

Réduire les inégalités par l’éducation et la rénovation urbaine

Intéressante, leur initiative inscrit l’écologie au cœur d’un projet de société global, qui donne également la priorité «à la réduction des inégalités de revenus, qui ont bondi depuis les années 1990 et encore plus depuis 2008», rappelle Anne Eydoux, maître de conférences à l’université Rennes 2. L’économiste n’oublie pas les inégalités sociales, touchant les femmes ou les étrangers, estimant qu’il faut donner davantage de moyens à l’Education nationale et lancer de grandes politiques de rénovation urbaine.

Quel écho dans la société?

Le Nouveau manifeste complète son projet par la promotion des salaires élevés, des contrats à durée indéterminée, de la réduction du temps de travail… «La mise en place des 35 heures a permis de créer en France de 300.000 à 500.000 emplois», rappelle le nouvel opus. Et pour ne pas perdre le fil de la reconquête de ce bien-être social et environnemental, un nouvel indicateur doit compenser les manques du PIB, en intégrant la production non marchande des administrations et le respect des équilibres sociaux et écologiques. Seront-ils entendus? Au regard du succès inattendu de leur premier manifeste, vendu à près de 100.000 exemplaires, de bonnes surprises sont possibles. «Nous ne sommes ni conseillers du prince ni un groupe de lobbying mais une simple association citoyenne», répond le collectif, qui se refuse à tout pronostic.

Pour le climat, pétrole et charbon devront rester largement inexploités

AFP
www.goodplanet.info/actualite/2015/01/08/pour-le-climat-petrole-et-charbon-devront-rester-largement-inexploites/

Le Moyen-Orient devra renoncer à exploiter près de 40% de ses réserves pétrolières, et la Chine, les Etats-Unis et la Russie l’essentiel de leur charbon, si l’on veut contenir le réchauffement climatique, révèle une étude publiée mercredi par le journal Nature. Globalement, un tiers des réserves pétrolières, la moitié des réserves de gaz et plus de 80% du charbon devront rester sous terre jusqu’à 2050, soulignent les auteurs de cette étude intitulée « Quelle quantité d’énergies fossiles pouvons-nous exploiter? »

Ce sera le seul moyen d’atteindre l’objectif de l’ONU de limiter le réchauffement à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, souligne Christophe McGlade, de l’Institute for Sustainable Resources du University College de Londres.

« Les hommes politiques doivent réaliser que leur instinct consistant à recourir aux énergies fossiles disponibles sur leur territoire, est incompatible avec leur engagement à tenir l’objectif de 2°C, » dit-il.

Les experts de l’Onu, qui ont publié en 2014 la plus vaste évaluation scientifique du changement climatique, estiment que pour atteindre ce but, l’homme devra limiter ses émissions de CO2 à environ 1.000 milliards de tonnes (gigatonnes), après en avoir déjà consommé 2.000. Les émissions que générerait l’usage des réserves d’énergies fossiles encore disponibles sont évaluées par l’étude à 3.000 gigatonnes.

« Les entreprises ont dépensé plus de 670 milliards de dollars (565 milliards d’euros) l’an dernier dans la recherche de nouvelles ressources fossiles », souligne Paul Ekins, co-auteur de l’étude. « Elles devront revoir ces budgets si des politiques sont mises en place pour soutenir la limite des +2°C ».

L’étude fait le point sur les réserves et leur localisation, avant d’estimer quelles quantités peuvent être exploitées jusqu’en 2050.

Les auteurs ont pris deux scénarios, l’un dans lequel le monde s’appuie sur un « vaste réseau » de capture et stockage du carbone — des systèmes dans les faits très peu développés encore –, et l’autre sans ces technologies.

Même si les systèmes de capture du CO2 étaient répandus, il faudrait renoncer à plus de 430 milliards de barils de pétrole.

Dans ce cas, le Moyen-Orient à lui seul devrait renoncer à plus de 260 milliards de barils, soit 38% de son stock (l’équivalent de huit années de production aux niveaux de 2013).

L’Amérique latine devrait renoncer à 58 milliards de barils, le Canada à 39 milliards et les anciens Etats soviétiques à 27 milliards.

La Chine et l’Inde devront éviter d’exploiter près de 70% de leurs réserves de charbon, et l’Afrique presque 90%. L’Europe renoncera à 78%, les Etats-Unis à 92%.

« Ces résultats montrent qu’il faut transformer complètement notre compréhension de la disponibilité des énergies fossiles, » insiste l’étude.

La répartition inégale des réserves à ne pas toucher sera un défi dans la recherche d’un accord mondial sur le climat, espéré à Paris fin 2015, soulignent les experts du climat Michael Jakob et Jérôme Hilaire, dans une analyse jointe à l’étude.

« Seul un accord global qui compensera les pertes des uns et sera perçu comme équitable par tous, pourra imposer de strictes limites au recours aux énergies fossiles », ajoutent-ils.