Articles du Vendredi : Sélection du 27 mars 2015

Le Guardian part en guerre contre les énergies fossiles : “Nous allons nommer les pires pollueurs, et trouver qui les finance”

Justine Brabant
www.arretsurimages.net/contenu-imprimable.php?id=7583

«Pour changer la donne, il faut une révolution fiscale»

Christian LOSSON
www.liberation.fr/terre/2015/03/26/pour-changer-la-donne-il-faut-une-revolution-fiscale_1228763?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter

Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

Patrick Piro
www.politis.fr/Aller-a-Paris-Mais-pour-quoi-faire,30579.html

Dans le monde, les émissions de CO2 ont stagné en 2014, alors que la croissance était de 3,4 %. Formidable ? Historique ? (billet 1)

Jean Gadrey
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/03/23/dans-le-monde-les-emissions-de-co2-ont-stagne-en-2014-alors-que-la-croissance-etait-de-34-formidable-historique-billet-1/

Le Guardian part en guerre contre les énergies fossiles : “Nous allons nommer les pires pollueurs, et trouver qui les finance”

Justine Brabant
www.arretsurimages.net/contenu-imprimable.php?id=7583

Au Royaume-Uni, le Guardian vient de lancer une campagne d’envergure sur le changement climatique. Sa première bataille : mettre un frein à l’extraction de combustibles fossiles, en incitant les investisseurs à désinvestir de ce secteur. Pétition, articles accusateurs, campagnes très visuelles sur son site : le quotidien britannique ne fait pas les choses à moitié. Une petite révolution, dans une presse qui a adopté depuis les années 1990 une approche dépolitisée des questions environnementales.

Alan Rusbridger a soixante-deux ans, et un regret. Après avoir occupé pendant vingt ans le poste de rédacteur en chef du Guardian, cette figure du journalisme britannique a publié, le 6 mars, un billet en forme d’introspection. À quelques mois de la retraite, il s’est demandé s’il allait “avoir des regrets“. Rusbridger n’en dénombre qu’un : n’avoir pas bien traité “l’immense, imposante, écrasante question” de “comment le changement climatique va probablement causer d’incalculables dégâts et tensions à notre espèce, du vivant de nos enfants.

À ses équipes et à ses lecteurs, il explique que le changement climatique n’est rien moins que “la plus importante histoire du monde“. Mais c’est une histoire que “le journalisme n’a jamais réussi à raconter“. Car le temps long des bouleversements environnementaux cadre souvent mal avec le temps court de l’agenda médiatique : parfois, des “choses extraordinaires et importantes se passent, mais se déroulent trop lentement ou trop invisiblement pour le tic-tac impatient des rédactions, ou pour attraper l’attention d’un lecteur épuisé en route vers son travail“, note Rusbridger. Résultat : une couverture médiatique souvent limitée à la recension de catastrophes, et des lecteurs “découragés et désengagés“.

D’ici son départ du poste de rédacteur en chef (et à quelques mois de la COP21, le sommet mondial sur le climat qui va se tenir à Paris en décembre), Rusbridger a donc décidé de jeter ses forces – et celles du Guardian – dans une dernière bataille : changer les manières de rendre compte des enjeux environnementaux. Ambitieux ? L’équipe du quotidien ne s’y est en tout cas pas lancée à moitié.

Depuis une semaine, le quotidien britannique a entrepris de livrer une première bataille : mettre un frein à l’extraction des combustibles fossiles. Son équipe s’est fixé comme objectif de pousser les entreprises, fondations, banques et universités à cesser d’investir dans ce secteur. Comment ? D’abord en étalant, en page d’accueil du site du journal, les logos des grands groupes du secteur de l’énergie au milieu d’une nappe de pétrole virtuel.

Et au cas où ces entreprises espéraient passer inaperçues au milieu du flot de logos, les journalistes du quotidien ont entamé une campagne plus précise encore : une pétition, lancée en partenariat avec l’ONG 350.org, et adressée aux “deux plus grandes fondations au monde“, la Fondation Bill et Melinda Gates et le Wellcome Trust. Le texte, que le Guardian invite à signer, leur demande de désinvestir des énergies fossiles: “Nous vous demandons de (…) vous engager dès maintenant à vous désinvestir des «top 200 fossil fuel companies» [les 200 entreprises mondiales les plus carbo-intensives] dans les cinq ans, et de geler immédiatement tout nouvel investissement dans ces entreprises“. Le nom de cette campagne : “Keep it in the ground“– “Laissez ça dans le sol“.

La pétition a reçu plus de 100 000 signatures en une semaine. Il n’est pas anodin qu’elle cible la Fondation Bill et Melinda Gates : cette organisation finance, depuis 2010, les pages “Global developpement” du Guardian. Un mécène vis-à-vis duquel il fallait donner des gages d’indépendance. Le Guardian l’a fait en le ciblant dans sa pétition, mais également dans un article publié hier qui révèle que la Fondation a investi 1.3 milliard d’euros dans les combustibles fossiles. Et le ton n’est pas complaisant : “L’organisation caritative dirigée par Bill et Melinda Gates, qui dit que la menace de changement climatique est telle qu’il faut agir immédiatement, détient au moins 1.4 milliard de dollars [1.3 milliard d’euros] d’investissements dans les plus grands groupes mondiaux d’énergie fossile, d’après une analyse de la déclaration d’impôts de la fondation faite par le Guardian. Ces groupes incluent BP, responsable de la catastrophe du Deepwater Horizon (…) et l’entreprise minière brésilienne Vale, élue « groupe montrant le plus de mépris pour l’environnement et les droits humains »” par des ONGs suisses en 2012.

Modèle des campagnes contre l’apartheid

Inciter les investisseurs à boycotter des entreprises jugées problématiques : l’idée n’est pas nouvelle. Elle a été expérimentée avec succès à propos d’une autre cause : la lutte contre l’apartheid. “Le modèle du mouvement [pour le désinvestissement de l’industrie fossile] est celui de la campagne pour le désinvestissement des entreprises liées à l’apartheid en Afrique du Sud initiée il y a plus de trente ans aux États-Unis. Les investisseurs éthiques, les fondations et les congrégations religieuses qui y avaient participé sont des institutions que l’on retrouve aujourd’hui mobilisées sur le climat“, souligne un rapport de Novethic (site spécialisé dans “l’économie responsable”) sur les mobilisations d’investisseurs contre le changement climatique.

L’initiative du Guardian s’inspire également d’une forme de lobbying née sur les campus américains, où les étudiants “pressent les dirigeants de leurs universités d’appliquer une politique de désinvestissement sur leurs importants fonds de dotation“. Ce mouvement, qui a essaimé en dehors des Etats-Unis, a par exemple conduit l’université de Sidney (Australie) à se désinvestir à hauteur de 835 000 euros d’entreprises liées à l’industrie fossile, d’après le même rapport. En France, des campagnes proches sont menées par les Amis de la Terre ou ATTAC, qui ciblent notamment des banques– une première victoire a été enregistrée avec le retrait de la Société générale du financement d’un projet de mine à ciel ouvert en Australie, Alpha Coal.

S’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences

Si ces formes de militantisme ne sont pas nouvelles, le fait qu’une campagne d’une telle ampleur soit lancée et portée par un grand média, en revanche, l’est. Pour retrouver une mobilisation de cette ampleur dans la presse, le journaliste spécialisé dans l’écologie Hervé Kempf doit remonter… aux grands moments de la lutte contre le SIDA. “Mais ce ne sont pas les mêmes enjeux“, explique le journaliste, car là où la mobilisation des médias contre le SIDA passe par de la prévention et de l’appel aux dons, “là, on s’attaque directement à des intérêts économiques : ceux de compagnies pétrolières et de banques.”

Il y a bien eu l’édito publié de concert par 56 journaux à travers le monde lors du sommet de Copenhague en 2009“, relève le sociologue Jean-Baptiste Comby, auteur d’une thèse sur la médiatisation des questions environnementales. Mais “il s’agissait plutôt d’une logique d’alerte, là où le Guardian, lui, se penche véritablement sur les causes politiques du réchauffement“. Et en cela, l’initiative du quotidien britannique dénote réellement. Car les études menées par le sociologue (publiées en partie dans cet article et ce rapport [pdf]) montrent que lorsque les médias français se penchent sur le climat, ils le font souvent en évoquant les conséquences du réchauffement. En 2006, 69% des sujets environnement des JTs de TF1 et France 2 parlaient ainsi des conséquences du réchauffement, contre 5% parlant de ses causes, et 26% des “solutions” possibles.

Le sociologue relève que la presse française opte généralement pour un “traitement déconflictualisé” des enjeux climatiques, qui rend surtout visibles les “responsabilités domestiques” et “obsurcit les inégalités sociales de contribution et d’exposition au problème“. Par contraste, l’initiative du Guardian est “l’une des premières traces de politisation” des questions d’environnement. Elle va d’autant plus à rebours du reste de la presse que, relève Hervé Kempf, plusieurs rédactions réduisent la voilure et l’autonomie de leurs services dédiés à l’actualité environnementale : au New York Times, qui a supprimé son service Environnement en 2013, ou au Monde (que Kempf a quitté en 2013 pour fonder Reporterre), où les pages Planète ont été rattachées au service International la même année.

Et pour la suite ? On peut craindre que la COP 21 passée, le sujet peine à (re)trouver le chemin des Unes, faute d’événement jugé suffisament important pour en parler. Mais d’ici là, du côté du Guardian, Rusbridger a prévenu qu’il ne lâcherait rien : “Nous allons examiner qui reçoit les subventions et qui fait du lobbying. Nous allons nommer les pires pollueurs et trouver qui continue de les financer. Nous allons pousser les sociétés ouvertes, les spécialistes en investissements, les universités, les fonds de pension et les commerces à retirer leur argent des entreprises qui présentent le plus de risques pour nous. Et, puisque les gens vont légitimement nous poser la question, nous raconterons comment le groupe médiatique du Guardian lui-même se saisit de ces problèmes.”

«Pour changer la donne, il faut une révolution fiscale»

Christian LOSSON
www.liberation.fr/terre/2015/03/26/pour-changer-la-donne-il-faut-une-revolution-fiscale_1228763?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter

A l’occasion du Forum social mondial de Tunis, du 24 au 28 mars, où 70 000 participants de plus de 130 pays doivent se réunir pour proposer des alternatives à un monde dans l’impasse, Libération.fr se propose de prolonger le regard de militants. Chaque jour, et jusqu’à dimanche, retrouvez un témoignage, un combat, un espoir.

Aujourd’hui Johnlyn Tromp, 30 ans, d’Oxfam Afrique du Sud

«C’est mon premier Forum social mondial. Je suis envoyée par Oxfam Afrique du Sud et membre de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale, une coalition en pleine expansion. C’est un peu écrasant un tel sommet, je suis paumée tant l’énergie fuse de partout –les colères, les envies, les luttes, les solutions. La parole et l’action: c’est une plateforme incomparable. Je suis avocate, j’ai été formée au Cap et je me suis toujours battue pour une sorte d’équité des chances qui permette de ne pas saper tout espoir de développement. Depuis que j’ai 16 ans, me battre pour les droits de l’homme –vraiment, pas formellement– est un truc qui me structure. J’ai même monté un cabinet pour l’aide légale, afin d’aider ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat. Jamais je ne pourrais officier pour une grande firme internationale: c’est trop de compromission. Jamais je ne pourrais être un de ces avocats qui justifie l’évitement fiscal, l’optimisation à grande échelle pour une minorité d’actionnaires au détriment des peuples.

«D’accord, la justice fiscale, c’est technique, pas sexy et horriblement compliquée. Mais le tax dodging, ces combines pour échapper à l’impôt des multinationales, est à mes yeux le problème le plus urgent. Comme l’extractivisme. Les deux ont un lien. Souvent les secondes bénéficient d’exemptions incroyables par des gouvernements qui cherchent à tout prix à attirer les investissements directs étrangers mais, du coup, se lient les mains. Car les rentrées fiscales chutent et les mesures d’austérité redoublent. Les administrations fiscales sont dépassées par les montages sophistiqués et sont, de plus, décimées par les coupes budgétaires. Elles sont un peu comme ceux qui n’ont pas les moyens de s’asseoir à la table d’un restaurant et se contentent de regarder le menu.

«Oui, les gouvernements ont une responsabilité évidente dans cette fuite en avant qui ne fait que contribuer à creuser les inégalités et à pousser à la corruption. Les grandes entreprises font quelques écoles ou hôpitaux ici et là, mais elles remplacent les Etats, non? Et les gouvernements, que font-ils en les laissant ne pas payer l’impôt qu’elles devraient, voire en aidant, par leurs législations très conciliantes, voire scandaleuses? Ils leur laissent prendre les rênes. Les Etats sont de plus en plus faibles, les multinationales de plus en plus fortes: c’est ça la logique qui pousse à des taux effectifs d’imposition souvent ridicules, des exemptions scandaleuses. A la fin, aussi, on peut se demander quelle est la différence entre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale. La seule différence, c’est que la première est officiellement interdite alors que la seconde est tolérée. Sauf qu’elle n’est qu’une injustice légalisée par les Etats.

«Je suis confiante, car jamais on n’a autant parlé de la campagne globale. En Afrique du Sud, un grand nombre de mouvements ont proposé, en avril 2014, au gouvernement des mesures simples et efficaces [Davis Tax Committee, ndlr]. Et, à l’occasion du troisième sommet mondial sur le financement du développement qui se tiendra en juillet à Addis-Abeba [en Ethiopie], on entend pousser pour un sommet mondial sur la fiscalité qui ne soit pas impulsé par l’OCDE. Oui, je suis confiante, mais la route est encore longue contre ce capitalisme casino qui ne profite qu’aux plus riches et aux firmes les plus riches. Notre rapport “A égalité”, publié début 2015 l’a rappelé: en 2016, les 1% les plus riches posséderont en patrimoine cumulé plus que les 99% restant de la population mondiale. On sait ce qu’il faut faire pour changer la donne: une révolution fiscale.»

Aller à Paris ? Mais pour quoi faire ?

Patrick Piro
www.politis.fr/Aller-a-Paris-Mais-pour-quoi-faire,30579.html

Les principaux réseaux environnementalistes se sont réunis au forum social mondial de Tunis pour décider de leurs actions lors du grand sommet climatique que la France accueille en décembre prochain.

Ils connaissent désormais au moins un mot en basque, les quelque 70 000 participants du forum social mondial (FSM) de Tunis : Alternatiba (alternative), le nom du mouvement social climatique mis en branle par l’association bayonnaise Bizi depuis octobre 2013. Les militants au maillot vert ont méthodiquement apposé leurs affiches sur les murs de l’université El Manar, où se tient le rassemblement altermondialiste, mais aussi le long du parcours de la marche d’ouverture du FSM. Nul ne devrait ignorer (c’est écrit en plusieurs langues) qu’un Tour de France Alternatiba va parcourir 5 000 kilomètres cet été à travers l’Hexagone et des pays limitrophes pour mobiliser les citoyens en faveur de solutions écologiques, justes et solidaires face au dérèglement du climat. Objectif majeur de l’année : tenir un « village mondial des alternatives » climatiques à Paris, lors du sommet de décembre (COP 21), où les gouvernements de la planète tenteront de signer un accord global de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il faudra massivement investir « Paris » pour peser sur ce conclave, les militants français en sont convaincus. De même Tadzio Müller, de la fondation allemande Rosa-Luxemburg. « Oui, mais quoi leur dire, chez moi, pour les convaincre de venir aussi ? » De Berlin, il déboule à El Manar lundi dernier avec cette obsession en tête, alors que 150 représentants de mouvements climatiques des cinq continents sont réunis pour décider d’actions collectives pendant la COP 21. Il lève les yeux au ciel : « Surtout pas un Copenhague bis ! » L’échec du grand sommet climatique de 2009 (COP 15) est cuisant pour les mouvements de la société civile : en dépit de mois de pression sur les gouvernements et d’une manifestation qui avait draîné 100 000 personnes dans la froidure de la capitale danoise, rien au bout, pas d’accord sur les émissions de gaz à effet de serre, et une grosse dépression post-Copenhague. Alors à Tunis, les têtes pensantes planchent en ateliers sur les contours de « narratives » (« récits », « argumentaires » — on parle beaucoup anglais dans ces réunions) et d’une « choregraphy » dynamique pour susciter la mobilisation des citoyens.

Attention, nos « narratives » ne reflètent pas toujours les attentes des partenaires du Sud, les grosses écuries climatiques du monde occidental les oublient parfois un peu trop, se préoccupe Teresa Anderson, d’Action Aid (Angleterre). « Inclure les droits de peuples et la préservation de la biodiversité dans les forêts tropicales, dont le Nord ne voit souvent que les arbres », lance Letícia Tura, du mouvement social brésilien Fase. « Expliquer aux Philippins que la multiplication des énormes typhons, c’est le dérèglement climatique », ajoute la Philippine Marjorie Pamintuan, du réseau Asia-Pacific Research Network. Lyda Fernanda (Transnational Institute, Colombie) rapporte l’expérience latino-américaine : « Il faut mettre en avant que les luttes sociales et écologiques sont intimement liées, et que les multinationales sont derrière tout ça ! » Pour la Française Geneviève Azam (Attac-France), il faut absolument présenter un « récit positif » à la société. « Nos alternatives, c’est la vie, face aux solutions mortifères des forces économiques dominantes – nucléaire, gaz de schiste, stockage du CO2 dans le sous-sol, etc. » Dans la petite salle TD2 des bâtiments de la fac de gestion d’El Manar, Teresa Anderson note soigneusement au tableau les idées qui fusent.

On ne s’accordera pas sur ce fameux « récit » commun, à Tunis, trop tôt, entre Les Amis de la Terre, Attac, Aavaz, Climate Action Network (Greenpeace, WWF, 350.org, etc.) Alternatiba, Moccic, Confédération syndicale internationale (CSI), Solidaires, FSU, CGT, CFDT — « Tous les syndicats sont là ! », se réjouit Christophe Aguiton, d’Attac-France. Cependant, à l’image de ce que la Coalition climat 21 française est en train de réaliser conjointement avec Alternatiba, Nicolas Haeringer (350.org France) relève que les réseaux environnementalistes et ceux qui réclament la « justice climatique » (les plus politisés) ont largement rapproché leurs analyses : plus question, comme à Copenhague en 2009, de tout miser sur une pression exercée ponctuellement sur les gouvernements, tout le monde convient qu’il faut mobiliser largement la société, au-delà de la COP 21, et derrière des objectifs qui ne dépendent pas du calendrier des institutions internationales.

Suffisant cependant pour rassurer Tadzio et les autres, qui ont adopté à Tunis des décisions opérationnelles en vue du sommet de Paris :

La veille de l’ouverture de la COP (le 28 ou le 29 novembre), seront organisées partout sur la planète des mobilisations nationales ;
Le 12 décembre, date de clôture de la COP 21, une marche massive à Paris où tout le monde est invité (rappel de la référence en date : 400 000 personnes à New York en septembre dernier face à la conférence climat organisée par Ban Ki-moon aux Nations unies) ;
et entre les deux ? Pas encore précisé. On compte sur les Français pour animer une « choregraphy » de forums et d’actions, entre la Coalition climat 21 et Alternatiba avec son village planétaire des alternatives. Moue d’un responsable français : « Il faudra tenir l’attention et la tension sur quinze jours, pas une mince affaire… »

Dans le monde, les émissions de CO2 ont stagné en 2014, alors que la croissance était de 3,4 %. Formidable ? Historique ? (billet 1)

Jean Gadrey
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Vous avez probablement vu passer la nouvelle, et avec elle les déclarations d’optimisme des avocats de la « croissance verte ». Sans le moindre doute, mieux vaut une stagnation des émissions qu’une poursuite de leur progression. C’est mieux que si c’était pire. Mais on va voir qu’il n’y a pas de quoi pavoiser. Car cette « bonne nouvelle » (c’est ainsi que tous les grands médias l’ont présentée) 1) n’est absolument pas historique, et 2) ressemble à un écran de fumée pour masquer provisoirement la gravité des risques climatiques et l’insoutenable énormité des émissions passées, actuelles, et malheureusement futures, sauf si…

Reprenons la présentation de la « bonne nouvelle » par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dont les analyses ont été reproduites sans distanciation critique par l’AFP, Reuters, et dans la foulée Le Monde, Libé, Le Figaro, Challenges, etc. Je cite : « C’est la première fois en 40 ans qu’il y a une pause ou une baisse dans les émissions de gaz à effet de serre qui ne soit pas liée à une récession économique » (communiqué de l’AIE).

Je cite aussi Le Monde, reprenant les affirmations de l’AIE : « Depuis quarante ans, les émissions de CO2 mesurées n’avaient jusqu’alors stagné ou baissé qu’à trois reprises, au début des années 1980, en 1992 et en 2009. A CHAQUE FOIS, LA TENDANCE CORRESPONDAIT A DES PERIODES DE RECESSION ECONOMIQUE MONDIALE. Mais en 2014, l’économie mondiale a connu une croissance de 3 % ». Fin de citation.

Voici mes remarques (en deux billets successifs) sur cette fausse bonne nouvelle. Je vais commencer dans ce billet par cette allégation : ce serait « la première fois ». Je ne vais pas m’en prendre aux journalistes, ils n’ont guère le temps de se livrer à des vérifications qui m’ont pris des heures,mais à l’AIE. Car eux savent très bien que c’est faux, vu qu’ils produisent des séries d’émissions qui remontent à 1971 et qu’ils y utilisent des données du FMI sur la croissance mondiale.

J’ai donc repris les séries de l’AIE et celles du FMI, et voici ce que cela donne, en trois graphiques. D’abord, le simple graphique de l’évolution mondiale des émissions de CO2 liées aux énergies fossiles (je reviendrai sur cette double et forte limite : seulement le CO2, et seulement les émissions dues à la combustion des énergies fossiles). On y voit apparaître non seulement une croissance forte et pratiquement continue, mais, ce qui est pire, une accélération de cette croissance depuis le début des années 2000 et jusqu’en 2013. Ces émissions sont passées de 14,1 milliards de tonnes en 1971 à 32,3 milliards en 2013 (comme en 2014), une multiplication par 2,3.

Venons-en aux relations avec la croissance mondiale et à ce découplage soit disant historique en 2014. Le graphique suivant représente les taux de croissance annuels du PIB mondial (source FMI) et celui des émissions en question (source AIE).

 

 

 

 

Quels constats ?

1) D’abord, un « parallélisme » qui saute aux yeux : les évolutions d’une année sur l’autre de ces deux variables ont en gros le même sens sur toute la période. Le « coefficient de corrélation » est proche de 0,9, ce qui esténorme. CELA FAIT PLUS DE 40 ANS QUE LA CROISSANCE DES EMISSIONS EST INFERIEURE A LA CROISSANCE ECONOMIQUE (voir aussi le dernier graphique de ce billet).

2) Ensuite, L’ANNEE 2014 N’EST EN AUCUN CAS LA PREMIERE ANNEE OU L’ON A PU OBSERVER UN DECOUPLAGE TRES NET (plus de 3 points d’écart entre la croissance économique et celle des émissions). On a déjà eu un écart de 3 points ou plus en 1974, 1980 (près de 4 points d’écart !), 1981 (3,5 points), 1994, 1997, et 1999.

3) Pour ces six années passées de « découplage » à 3 points ou plus, la croissance moyenne a été de 3,25%, et la croissance moyenne des émissions a été de 0 %. Il est donc faux d’affirmer que ces années-là étaient des années de récession ou de stagnation, sauf si on appelle « récession » une croissance de moins de 3% ! 2014 n’est en aucun cas une année « historique ».

4) Contrairement à ce qu’affirme Le Monde, l’économie mondiale n’était pas « en récession » en 2009 : elle a connu une croissance nulle. On disait certes que la Chine avait réalisé une « piètre performance » en 2009, mais c’était quand même une croissance de 9,2% ! Et d’ailleurs, 2009 ne fait pas partie des six années passées de découplage maximal observé.

Ce sera tout pour ce premier volet de ma critique, mais j’en ai d’autres plus importants en réserve pour le prochain billet.

Un dernier graphique pour la route ? OK, je l’ai composé avec les données de l’AIE. C’est le genre de graphique « optimiste » que certains affectionnent. Mais comme on le verra dans le prochain billet, « la planète » et le climat se fichent pas mal de la réduction, en effet assez nette et presque linéaire depuis 1971, des émissions PAR UNITE DE PIB PRODUIT. Ce qui importe, c’est le total des émissions. Lui, il ne cesse d’augmenter (premier graphique). L’année 2014, même si elle n’a rien d’historique, pourrait-elle être une hirondelle qui annonce le printemps ? N’y a-t-il rien de vrai dans les analyses de l’AIE ? A suivre…