Articles du Vendredi : Sélection du 6 février 2015

Deux-tiers des Américains favorables à une politique de lutte contre le réchauffement

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/climat/article/2015/02/02/deux-tiers-des-americains-favorables-a-une-politique-de-lutte-contre-le-rechauffement_4568441_1652612.html

La transition écologique, sans les moyens

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/la-transition-ecologique-sans-les-moyens,55108?xtor=EPR-9

Nature, le nouvel eldorado de la finance

Rediffusion mardi 10.02 à 8h55 / lundi 16.02 à 8h55
www.arte.tv/guide/fr/050583-000/nature-le-nouvel-eldorado-de-la-finance

« C’est aussi débile que de couper l’eau du robinet quand on se lave les dents »

Thibaut Schepman
http://rue89.nouvelobs.com/2015/02/05/cest-aussi-debile-couper-leau-robinet-quand-lave-les-dents-257511

Climat : le « moment oh merde ! »

Marlowe HOOD
http://blogs.afp.com/makingof/?post/changement-climatique-ressentir-le-moment-oh-merde

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Deux-tiers des Américains favorables à une politique de lutte contre le réchauffement

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/climat/article/2015/02/02/deux-tiers-des-americains-favorables-a-une-politique-de-lutte-contre-le-rechauffement_4568441_1652612.html

La course vers la prochaine grande conférence climatique, qui se tiendra à Paris en décembre, n’est peut-être pas si mal engagée. Un sondage national rendu public jeudi 30 janvier et conduit outre-Atlantique par l’université Stanford (Californie), le think tank Resources for the Future et le New York Times, montre qu’une forte majorité d’Américains est favorable à des politiques de lutte contre le réchauffement.

Selon l’étude, 67 % des personnes interrogées sont sur cette ligne et déclarent qu’elles voteront plus probablement en 2016 pour un candidat à l’élection présidentielle qui fera de la lutte contre le réchauffement l’une de ses priorités. La principale surprise de l’enquête est l’adhésion assez large du camp républicain, dont près de la moitié (48 %) des sympathisants est également favorable à l’action climatique.

Contraste avec les élus républicains

Ce chiffre est en fort contraste avec l’opinion généralement affichée par les élus du grand parti conservateur américain : selon un récent comptage mené par l’association Climate Progress, les trois-quart des parlementaires républicains sont climatosceptiques. Une estimation récemment confirmée par le rejet d’un projet de résolution déposé le 20 janvier au Sénat par le camp démocrate, qui consistait simplement à affirmer la validité du consensus scientifique, c’est-à-dire la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement en cours. En 2012, rappelle le New York Times, tous les candidats à la primaire républicaine, à l’exception d’un seul, Jon Huntsman Jr., affichaient des positions climatosceptiques.

Lire aussi : Comment le Parti républicain a censuré Barack Obama sur le climat

Marqueur politique beaucoup plus clivant qu’en France, la question climatique est traditionnellement aux Etats-Unis un sujet d’opposition radicale entre droite et gauche. Les calamités météorologiques qui s’abattent depuis quelques années sur le pays commencent-elles à dépolariser le sujet ? C’est en tout cas ce que suggèrent les résultats de l’enquête. A la question : « Si rien n’est fait pour réduire le réchauffement à venir, quelle sera l’ampleur du problème pour les Etats-Unis ? » 78 % des personnes interrogées répondent que le problème sera « très sérieux » (44 %) ou « plutôt sérieux » (34 %). Une majorité se dégage également au sein des rangs conservateurs : 54 % des républicains et même 59 % des sympathisants du Tea Party font ainsi de la question climatique un enjeu important pour l’avenir des Etats-Unis.

Mesures contraignantes

L’ampleur du problème au niveau mondial est plus consensuel encore, puisque 83 % des répondants (et 61 % des républicains) l’estiment « sérieux » à « très sérieux » pour l’avenir.

Ce constat est cependant tempéré par la conviction, majoritairement affichée par les personnes interrogées, toutes tendances confondues, que le changement climatique n’a eu et n’aura que peu, ou pas, d’influence sur leur propre vie. Près de 60 % des personnes interrogées conviennent cependant que cette influence sera « importante » à « très importante » pour les futures générations.

Plus étonnant encore au pays du libéralisme économique : 78 % des personnes interrogées (60 % des républicains) seraient d’accord avec une limitation, imposée par le gouvernement fédéral, des quantités de gaz à effet de serre émises par les entreprises américaines. De même, 80 % des répondants soutiendraient une politique de déductions fiscales pour les producteurs d’énergies renouvelables. Il y a cependant une limite à tout : des taxes sur l’électricité supportées par les particuliers, de même qu’une surtaxation des hydrocarbures, sont assez massivement rejetées.

L’étude montre enfin que le climatoscepticisme est en net recul outre-Atlantique. En 2011, une précédente étude de l’université Stanford estimait à 72 % la proportion d’Américains convaincus que le changement climatique est causé « au moins en partie » par les activités humaines. Au dernier pointage, ce taux a grimpé de près de 10 points, à 81 %.

La transition écologique, sans les moyens

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/la-transition-ecologique-sans-les-moyens,55108?xtor=EPR-9

Le Premier ministre a présenté la feuille de route, issue de la dernière Conférence environnementale. Un catalogue de vœux pieux et de mesurettes qui ne répondent pas, à l’évidence, aux enjeux du moment.

En présentant la feuille de route environnementale, le Premier ministre Manuel Valls a bien résumé l’enjeu qui se pose à la société et à ses dirigeants: «Nous devons réaliser une profonde transformation de nos modes de vie». D’où l’importance du nombre de mesures issues de la dernière Conférence environnementale et présentées, ce mercredi 4 février, aux membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE).

Le cru 2015 de la feuille de route environnementale, en effet, ne comporte pas moins de 3 volets et 73 mesures. Un programme qu’il convient d’éplucher avec soin. Côté grands chapitres, pas de contestation possible: réussite du sommet Climat de Paris (la COP 21), transports et mobilité durables, santé environnementale. Ils seront complétés par la stratégie nationale du développement durable et par un énigmatique plan «administration exemplaire pour la transition écologique», a précisé le locataire de Matignon.

Deux ans de retard

Le gouvernement, c’est entendu, «entend tout faire pour que la COP 21 soit une réussite», a insisté Manuel Valls. Et pour ce faire, son administration va mobiliser large. A commencer par les services de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Chapeautés par Ségolène Royal, ils devront publiés, avant le 15 octobre, la stratégie bas carbone de la France, ainsi que les budgets carbone pour les périodes 2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028. La DGEC devra aussi achever la rédaction des programmations pluriannuelles de l’énergie. Des documents qu’elle aurait légalement du transmettre au Parlement en… 2013. Pour la suite, la France se bornera essentiellement à réfléchir et à donner des coups de pouce.

L’Etat «étudiera», par exemple, la création d’un label forestier volontaire pour les projets susceptibles de dynamiser la filière bois. Paris «évaluera» la contribution de l’agriculture à la lutte contre le changement climatique. Comme chaque pays hôte, elle réduira à néant (via la compensation) l’empreinte écologique de la COP21. La France «soutiendra» le développement de véhicules financiers innovants et «promouvra» la prise en compte par les agences de notation des risques climatiques. Du lourd!

La commission moribonde

Pour poursuivre «le renforcement des signaux-prix favorables à la baisse des émissions de gaz à effet de serre», la France ne va pas établir de véritable taxe carbone. Non, elle préfère commencer par étendre le champ d’activité du comité pour la fiscalité écologique, pourtant moribond. L’adaptation ne sera pas oubliée. Un nouveau plan national est déjà prévu pour 2016: il mettra notamment l’accent sur la protection du trait de côte et la préservation des 35.000 hectares de mangroves tricolores. Du travail en perspective pour le Conservatoire du littoral.

Centrales au charbon

Initiée par l’ancien ministre chargé du développement, Pascal Canfin, l’aide au développement poursuit sa mue. Une ligne de crédit en hausse, ces deux prochaines années, abondera le fonds de solidarité pour le développement. Après l’avoir torpillé, la France «plaidera» pour une taxe sur les transactions financières européenne avec une assiette large mais un petit taux. Manuel Valls et Ségolène Royal ont confirmé l’arrêt prochain des garanties de la Coface pour l’exportation des centrales au charbon non équipées de captage-stockage de carbone (CSC). En revanche, nul ne connaît encore le calendrier de cette mesure, «qui doit être négocié avec les industriels concernés», souligne Ségolène Royal, ni sa portée exacte. A supposer qu’elle permette finalement l’exportation de centrales capture ready, cette interdiction ne s’appliquerait, dans les faits, à aucun contrat. Par ailleurs, elle ne concernerait que les affaires réalisées avec les pays en développement. Une catégorie à laquelle n’appartient plus la Chine, par exemple.

Véloroutes et pastilles vertes

Le Premier ministre l’a rappelé: le transport et la mobilité durables sont un enjeu considérable. Raison pour laquelle 7 des 12 milliards dédiés aux futurs contrats de plan Etat-régions leur seront affectés. Pour le reste, peu de choses concrètes. A part, peut-être, la prochaine création d’un plan de développement urbain (PDU) allégé pour les collectivités de moins de 100.000 habitants, la mise en ligne d’une nouvelle pastille verte pour les véhicules les moins émetteurs (une reprise de celle créée par Dominique Voynet en 1998), et de nouvelles conférences sur le fret ferroviaire. A noter aussi la mise à l’étude de véloroutes. Un projet déjà évoqué en 1994 par un certain Michel Barnier, alors ministre de l’environnement. Pour accélérer le développement du véhicule électrique, autre grande cause nationale, le gouvernement n’exclut pas de mettre la main au portefeuille pour financer l’installation de bornes de recharge. Un équipement qui pourra valoir des certificats d’économie d’énergie à leurs financeurs, du moins jusqu’à 2018.

Rares sont ceux qui attendaient un grand soir en matière de santé environnementale. Ils seront déçus. Si l’on envisage de former les professionnels de santé aux questions environnementales, on se propose surtout de recenser les bonnes pratiques, que ce soit pour les aménagements urbains conciliant biodiversité et conséquences sanitaires du réchauffement. On étudiera aussi les causes de l’antibiorésistance.

140 millions d’euros

Après le climat, c’est la qualité de l’air qui sera à l’honneur. D’abord, par la création d’une journée nationale. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) subventionnera le remplacement de vieux poêles à bois par des systèmes plus performants. Enfin, la chasse au vieux véhicule diesel est ouverte. Surfant sur la baisse des ventes observée depuis trois ans, le gouvernement prévoit d’octroyer jusqu’à 10.000 euros d’aides publiques pour le remplacement d’une voiture diesel âgée de plus de 13 ans par un véhicule électrique. Petit bémol: le gouvernement ne dispose que d’une enveloppe de 140 M€ pour financer cette «Royalette». Il n’y en aura pas pour tous les automobilistes.

Les pesticides sont aussi une source de dégradation de la qualité de l’air. Son tarissement assuré passera par la mise au point de méthodologie de surveillance et surtout par la possible autorisation donnée aux parcs naturels régionaux de «définir sur leur territoire des orientations relatives à un usage restreint des produits phytopharmaceutiques». Le grand soir vert, quoi.

Nature, le nouvel eldorado de la finance

Rediffusion mardi 10.02 à 8h55 / lundi 16.02 à 8h55
www.arte.tv/guide/fr/050583-000/nature-le-nouvel-eldorado-de-la-finance

Combien vaut la nature ? Combien peut-elle rapporter ? À l’heure où l’on craint le pire pour la biodiversité, ce documentaire révèle la financiarisation croissante des ressources naturelles par les banques et les investisseurs privés. Édifiant.

La course au profit généralisé et le marché global ont largement contribué à la crise écologique actuelle. Pourtant, les mondes de l’économie et de la finance prétendent renverser la tendance et sauver la planète en la protégeant à leur façon, c’est-à-dire avec de l’argent. C’est bien l’émergence d’un nouveau marché, celui de la protection environnementale, que décrypte le documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac  – l’auteur du Sable, enquête sur une disparition, récemment diffusé par ARTE. Encore embryonnaire il y a quelques années, ce marché est aujourd’hui l’un des plus prometteurs en terme de profit. Son mode de fonctionnement est simple. De plus en plus de sociétés financières ou d’assurances, parfois précédées par les économistes, attribuent un coût à la nature. Combien vaut la forêt d’Amazonie ? Quelle est la valeur marchande de l’incessant labeur de pollinisation accompli par les abeilles ? Jusqu’ici, l'”invisibilité économique” de la nature ne jouait pas en sa faveur : les marchés n’aiment ni l’abondance ni la gratuité. Mais avec la raréfaction des ressources et la disparition programmée de certaines espèces, l’équation a changé. La loi de l’offre et de la demande peut maintenant s’appliquer aux richesses naturelles. Ainsi, des banques et des fonds d’investissements, pourtant responsables de la dernière crise financière en date, achètent d’immenses zones naturelles riches en espèces animales et végétales menacées. Monétarisées et financiarisées, ces réserves sont ensuite transformées en produits boursiers possiblement spéculatifs. On peut donc acheter des actions “mouche”, “orang-outan” ou “saumon”. En investissant dans ces titres, les entreprises polluantes obtiennent des “certificats de bonne conduite” qui les dispensent de suspendre leurs activités les plus néfastes…

La nature de l’argent – Fruit d’un patient et minutieux travail d’investigation, Nature, le nouvel eldorado de la finance met en relief les mécanismes d’un système naissant qui pourrait se révéler une entreprise de tartufferie mondiale. Interrogeant financiers, experts et penseurs, le film confronte les points de vue antagonistes et multiplie les exemples concrets de populations et milieux naturels menacés par ces nouvelles pratiques. L’enquête dresse un vaste panorama des intérêts en jeu et des lobbies en action autour de ce “nouveau” capital naturel, se demandant au final quelles valeurs défendent réellement ceux qui attribuent un coût à la nature. Une nouvelle crise financière pourrait en effet résulter de la spéculation et de l’effondrement de ces nouveaux marchés…

 

+ Virginie Félix sur Télérama

Sur fond de crise écologique, la protection des ressources naturelles est devenue un secteur lucratif, qui attire de plus en plus spéculateurs et multinationales. Jusqu’au mardi 3 février nous vous proposons en avant-première cette enquête stupéfiante au cœur de l’économie verte.

La nature serait-elle en train de devenir le nouveau terrain de chasse des grands fauves de la finance ? C’est le stupéfiant constat auquel aboutissent Denis Delestrac et Sandrine Feydel, au terme d’une enquête fleuve dans la jungle de la nouvelle économie verte. Un secteur émergent où les espèces en voie de disparition sont un placement lucratif, et la protection des écosystèmes un investissement ad hoc pour des multinationales qui doivent compenser les dégâts qu’elles commettent ailleurs.

La crise écologique serait donc devenue une opportunité économique, voire un objet de spéculation, dont cette vaste enquête dévoile les appétits et les logiques avec mordant. « Il y a trois ans, lors d’une conférence sur l’économie verte, j’ai appris qu’aux Etats-Unis, c’étaient des institutions privées, des biobanques, qui s’occupaient de la protection des espèces en voie de disparition, explique Sandrine Feydel. En creusant un peu, j’ai découvert que des économistes commençaient à parler de financiarisation de la nature, voire à évoquer des risques d’un nouveau krach si le monde de la finance se couplait trop avec les milieux de la préservation de l’environnement. »

 

Comment en est-on arrivé à mettre un prix sur une forêt primaire ou une barrière de corail, à chiffrer le service de pollinisation rendu par les abeilles (200 milliards de dollars) ? « Depuis des années, certains économistes défendent l’idée que s’il y a une dégradation aussi importante de la biodiversité, c’est parce que l’on n’a jamais attribué de valeur économique à la nature. Et ce discours finit par s’imposer en même temps que se développent ces nouveaux marchés de la protection des espèces ou des écosystèmes, analyse la réalisatrice. Selon la loi de l’offre et de la demande, en se raréfiant, les ressources naturelles prennent de la valeur. Comme nous l’a résumé un économiste : “La dernière forêt sur Terre, le dernier cours d’eau non pollué, le dernier endroit où respirer de l’air pur, ça vaudra plus que des diamants…” »

Plus largement, le film montre aussi comment a fait son chemin l’idée que l’économie et les marchés pouvaient résoudre la crise environnementale. « Au sommet de Rio, en 1992, il ne venait à l’idée de personne de penser que les entreprises devaient être des acteurs de la protection de l’environnement, rappelle Sandrine Feydel. Depuis, il y a eu un changement de paradigme, des multinationales destructrices de la nature ont réussi à faire croire qu’elles pouvaient faire partie des solutions au problème écologique. Et la crise économique a conduit à un désengagement des Etats. Désormais, même les ONG doivent aller chercher l’argent là où il est, en nouant des partenariats avec des multinationales. Mais, à ce jeu-là, on peut se demander qui influence qui… »

« C’est aussi débile que de couper l’eau du robinet quand on se lave les dents »

Thibaut Schepman
http://rue89.nouvelobs.com/2015/02/05/cest-aussi-debile-couper-leau-robinet-quand-lave-les-dents-257511

Cher Saimiri,

Sous l’article sur les règles à suivre pour « ne pas tuer des bébés phoques avec votre ordi », vous dénoncez :

« Oui oui, c’est aussi débile que de couper l’eau du robinet quand on se lave les dents, ça donne bonne conscience mais ça ne sert strictement à rien, le problème est plus global.

Enfin si faire culpabiliser les “pauvres” ».

Vous défendez ici la thèse du « à quoi bon », qu’entendent beaucoup les écologistes :

  • à quoi bon refuser de prendre l’avion alors que plus de 3 milliards de passagers sont transportés dans le ciel chaque année ?
  • A quoi bon manger moins de viande alors que le monde entier s’en goinfre ?
  • Et surtout, à quoi bon faire des efforts pour limiter son apport personnel au désordre climatique impossibles à mesurer alors que tant d’entreprises/pays/gens/riches s’en balancent totalement et alors qu’on va de toute façon droit dans le mur ?

C’est clairement une question qui tue. Si vous la posez encore autour de vous, vous risquez d’entendre parler de Pierre Rabhi et de la légende amérindienne qu’il cite souvent :

« Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu.

Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “ Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !”

Et le colibri lui répondit : “ Je le sais, mais je fais ma part. ” »

Pierre Rabhi raconte la légende du colibri

J’en ai un peu marre de voir Pierre Rabhi cité partout, tout le temps et n’importe comment donc je vous épargne cette réponse-là. Et je vous en fais une autre.

Arrêter de sauver la planète

On entendrait sûrement moins de « à quoi bon » si l’on ne faisait pas toujours le lien entre les bonnes pratiques et le « problème global » dont vous parlez. En clair, si l’on arrêtait de dire « coupez l’eau quand vous vous brossez les dents pour sauver la planète ».

D’abord parce que l’être humain n’est pas fait pour s’attaquer à une tâche ardue au bénéfice lointain, c’est le fameux biais du présent qui nous empêche de tenir nos bonnes résolutions. Ensuite, parce que nous sommes très doués pour ignorer les menaces. Enfin, parce qu’il suffit de dire « la plupart des gens coupent l’eau quand ils se brossent les dents » pour que plus de gens le fassent vraiment.

Le psychologue Robert Cialdini l’a montré lors d’une expérience dans un hôtel. Il a affiché dans certaines chambres des pancartes indiquant que 75% des clients de l’hôtel réutilisent leur serviette au lieu de la changer tous les jours, un chiffre totalement bidon. Il a remarqué alors que 44% des clients suivants conservaient effectivement leurs serviettes, contre 35% si la statistique n’était pas précisée.

« Moment “oh merde” ! »

Des spécialistes de l’économie comportementale tentent de reproduire ce genre de méthodes, que l’on appelle « nudge », pour inciter les gens à changer de comportement sans même en avoir conscience. C’est sûrement une très bonne idée de s’attaquer aux problèmes de communication, quand on sait par exemple que personne ou presque ne comprend les alertes du Giec.

Mais c’est aussi un peu triste, voire paternaliste et dangereux, de vouloir résoudre « malgré nous » la principale menace qui se pose à notre espèce. Je crois au contraire qu’il est nécessaire de donner à chacun de nous l’envie et le goût de faire son pas de côté.

Cela passe probablement par ce « moment “oh merde !” », sur lequel la journaliste Marlowe Hood a écrit un très beau texte en septembre dernier. Elle y parle de cet instant où l’on comprend enfin que l’enjeu n’est pas seulement de limiter rapidement les effets négatifs de nos activités pour la planète, mais bien de préserver nos fragiles conditions d’existence, de ne pas « faire de la Terre un endroit fort peu hospitalier pour notre si délicate espèce ».

J’ai aussi envie de croire que ça passe par des « moment “oh chouette !” », par l’émerveillement en fait. Des moments où l’on écoute le silence, où l’on goûte des légumes oubliés, où l’on compte et observe les oiseaux qui nous entourent. Comptez sur moi pour continuer à écrire sur ces moments-là. Et pour ne pas vous dire que ça va sauver la planète.

Bonne journée !

Climat : le « moment oh merde ! »

Marlowe HOOD
http://blogs.afp.com/makingof/?post/changement-climatique-ressentir-le-moment-oh-merde

PARIS, 22 septembre 2014 – Il m’a fallu plus de deux ans pour tirer la substantifique moelle d’une demi-décennie passée à suivre les pandémies mondiales de grippe, les insaisissables particules élémentaires et les océans moribonds. Et cet instant d’illumination soudaine, celui où toutes les pièces du puzzle se mettent en place dans un claquement de doigts, c’est à Godzilla que je le dois.

Le temps de gestation peut paraître long. Et pourtant, avant même de quitter une rubrique composée d’un tiers de science, d’un tiers de santé et… de 100% de changement climatique, je commençais déjà à capter les premières notes du chant du cygne.

C’est du moins ce que j’ai ressenti après avoir fait l’expérience de ce que le philosophe australien Clive Hamilton – auteur, entre autres, du livre “Requiem pour l’espèce humaine” – appelle le “Oh shit! moment (le “moment Oh, merde!”): un choc violent, une prise de conscience brutale durant laquelle notre réticence instinctive à envisager la fin des temps cède soudainement sous le poids des catastrophes qui menacent d’engloutir l’unique planète sur laquelle nous pouvons vivre.

Pour moi, qui suis sceptique de nature et de formation, ce coup de tonnerre a retenti pendant une conférence à Oxford en 2009. Je discutais alors avec des scientifiques de haut rang réunis pour imaginer à quoi ressemblerait un monde plus chaud de 4°C. Le résultat? Un tableau d’une misère sans nom: des guerres pour l’accès à l’eau, des réfugiés climatiques par centaines de millions, une explosion des vecteurs d’épidémie et une famine généralisée. Le scénario des 4°C est aujourd’hui considéré seulement comme une projection “intermédiaire” à l’horizon 2100.

 

Trop tard pour refermer les portes de l’Enfer ?

Mais là où j’ai vraiment flipé, c’est quand je me suis rendu compte qu’il était déjà peut-être trop tard pour refermer les portes de l’Enfer. Et si l’anti-utopie climatique n’était pas juste une idée hollywoodienne destinée à se faire peur, mais une réalité pure et dure vers laquelle l’humanité se précipite dans une joyeuse insouciance?

Car ce qui empêche les climatologues de dormir – et j’ai vu l’un d’eux pleurer rien que d’y penser – c’est de pouvoir mesurer comment nous avons bêtement joué avec le thermostat de la planète et mis en mouvement les forces de la nature qui, en un clin d’œil et de manière irrévocable, vont faire de la Terre un endroit fort peu hospitalier pour notre si délicate espèce.

De quoi je parle au juste? On a récemment appris, par exemple, qu’un colossal glaçon appelé Inlandsis ouest-antarctique avait passé le “point de bascule”, le seuil au-delà duquel la fonte accélérée de cette calotte glaciaire – déclenchée principalement par le réchauffement des océans – devient son propre moteur, la cause en même temps que l’effet. Cela signifie que même si on devait éteindre demain toutes les sources mécaniques de CO2, l’inlandsis en question continuera à péricliter jusqu’à sa disparition complète, faisant grimper le niveau des mers de plusieurs mètres par la même occasion. Adieu le Bangladesh, tous les autres deltas côtiers grouillant d’êtres humains et les cultures agricoles qui assurent leur maigre pitance. Bonjour les tempêtes à côté desquelles l’ouragan Sandy ressemblera à une mer un peu agitée. (Il y aura quand même un semblant de justice climatique: la péninsule de Floride va se rétracter sous l’effet de l’eau qui monte et des décennies de bétonnage effréné des côtes seront effacées). Que cela se produise d’ici un siècle ou trois n’a pas vraiment d’importance: nous n’aurons pas assez de temps pour nous adapter.

Ce n’est qu’un des nombreux cataclysmes voués à rompre l’équilibre du Système Terre, comme les scientifiques l’appellent désormais. Autre menace en lice : l’immense réserve de carbone – plusieurs fois le volume total de CO2 émis depuis le début de l’ère industrielle – enfouie, essentiellement sous forme de méthane, dans le très mal nommé “permafrost” de Sibérie et du Canada. Les températures dans la zone subarctique, qui augmentent deux fois plus vite que la moyenne du globe, ont déjà commencé à ouvrir leur coffre au trésor toxique, et au-delà d’un certain point, il ne sera plus possible de refermer le couvercle.

 

“Pourquoi ne suis-je pas au courant ?”

Ce qui fait vraiment peur, c’est que nous pourrions déjà avoir passé le cap fatidique sans le savoir.

Y a-t-il une chance que toutes ces horreurs n’arrivent pas? Bien sûr. Il est toujours possible que le Soleil implose avant que j’aie fini de taper cette phrase (Ouf! On n’est pas passés loin). Tout est une question de risque statistique. Mais si vous prenez la peine de lire les études et d’écouter les experts, le pronostic est vraiment sombre. Sombre comme un corbillard.

A ce moment précis, vous vous demandez probablement: “si les choses vont vraiment si mal, comment ça se fait que je ne sois pas déjà au courant”?

Mais peut-être que vous êtes au courant en fait. Peut-être avez-vous déjà entendu les informations… mais vous n’y prêtiez pas vraiment attention? L’instinct de survie s’emballe, tous les clignotants au rouge, si on se retrouve nez à corne avec un rhinocéros en train de charger ou un camé brandissant un 9 mm. Mais les humains ont démontré leur capacité bizarre à ignorer les menaces de mort dès lors qu’elles ne mobilisent pas leur attention immédiate. (Voici, au moins, un terrain d’entente entre Freud et la psychologie évolutionniste). Bizarre? Pas tant que ça au fond, car envisager sérieusement l’Apocalypse revient à flirter avec la folie.

Ce n’est pas complètement de votre faute non plus. Les gens qui savent – les organisations écologistes, les gros industriels cracheurs de carbone, les climatologues – rechignent tous, chacun de leur côté et pour des raisons bien différentes, à sonner le tocsin.

Les chevaliers blancs (verts?) de l’environnement ne sont pas encore remis de l’échec retentissant subi en 2009 à Copenhague, durant la conférence sur le changement climatique qu’ils avaient un peu hâtivement proclamé “sommet de la dernière chance”. Trop téméraires, ils y ont tout misé et tout perdu. Et depuis lors, les Verts ont une peur bleue de jouer les Cassandre.

Les gloutons du carbone (et des bénéfices financiers qui vont avec) ont bien sûr toutes les raisons de minimiser cette menace. Aussi cyniques que pragmatiques, ces milliardaires du CO2 ont dépensé beaucoup d’argent pour nous susurrer à l’oreille que le réchauffement climatique est tout de même un risque aussi douteux que lointain, et qu’agir immédiatement nous ruinerait tous. Et voici ce que vont dire les sceptiques même les plus farouches quand ils ne peuvent plus ignorer la montagne grandissante des indices inquiétants : « C’est trop tard, il va falloir s’adapter. Au boulot ! » Lorsque la pauvre humanité se rendra compte que le temps imparti est écoulé, M. Pétrole & associés seront les premiers à sortir de leur chapeau haut-de-forme tout un tas de solutions plus extravagantes les unes que les autres pour continuer à faire tourner la machine économique… Un milliard de minuscules miroirs dans l’espace, semer du fer dans les océans… Qui dit mieux?

Quant aux chercheurs, ils restent paralysés par les codes et la culture propres à leur profession. Les prédictions scientifiques les rendent aussi nerveux que les prescriptions politiques. “Ce n’est pas mon boulot!”, j’ai entendu ça une centaine de fois dans leur bouche. Les médias, de leur côté, ont aggravé la situation en fabriquant de l’incertitude au kilomètre. Et en ce qui concerne les hommes politiques, il suffit de garder en tête qu’ils ne sont jamais élus par les générations futures.

Mais dans la partie, il y a encore un autre joueur qui nous empêche de voir notre avenir comme un mélange de “World War Z”, “Le Jour d’après”, “Contagion” et autres films post-apocalyptiques. Son nom? Non, pas Godzilla. “Hubris”.

Dans le film japonais d’origine (“Gojira” en 1954), le monstre reptilien qui écrabouille les immeubles est le rejeton mutant d’un atome que l’humanité commence tout juste à maîtriser. Le nucléaire offrait alors la perspective réjouissante d’une énergie illimitée et d’un arsenal militaire si puissant qu’il rendrait de facto impossible une quelconque guerre (la fameuse “arme de dissuasion”). Le bilan de l’ère atomique, qui n’a pas tenu toutes les promesses du prospectus publicitaire, est loin du compte. Et soixante ans après, Godzilla fait son grand retour pour nous rappeler qu’il ne faut pas tenter de domestiquer la nature à la légère.

 

Hubris à grande échelle

L’idée que notre espèce peut et doit plier la Terre à sa volonté est assez récente. Elle a émergé au Siècle des Lumières et s’est épanouie avec la révolution industrielle, dans la certitude que la Science, la Technologie et l’Education briseraient définitivement le cycle de l’Histoire, longue suite d’essor et de déclin des civilisations, pour propulser l’humanité dans une marche vers un Progrès sans fin. Pour les intellectuels de tout poil au XIXe siècle – de Karl Marx à John Stuart Mill, des socialistes aux darwiniens – le génie et la supériorité de la race humaine se chargeraient de tout, la nature se contentant dans l’opération de fournir ses ressources inépuisables.

Dans la tragédie grecque, l’hubris – un cocktail d’orgueil et d’ego démesuré – voue les protagonistes obstinés à une fin prématurée. Mais notre tragédie à nous, bien moderne, se joue à grande échelle et le héros en est l’humanité tout entière.

Le culte du dieu Progrès a longtemps prospéré, jusqu’à ce que le signal d’alarme commence à retentir un peu partout dans la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, ces signes avant-coureurs ont laissé la place à des menaces bien réelles: nouvelle crise d’extinction massive, la sixième seulement en 500 millions d’années; une kyrielle de maladies contre lesquelles les antibiotiques, longtemps considérés comme l’arme absolue, sont impuissants; de gros trous dans la stratosphère; une recrudescence de sécheresses, incendies, inondations et ouragans; des océans qui montent et agonisent simultanément.
Pour la première fois dans les 4,57 milliards d’années d’histoire de notre planète, une seule et unique espèce animale a altéré la morphologie, la chimie et la biologie de la Terre. Et le comble c’est que l’animal humain en a parfaitement conscience.

La rupture est si radicale que des scientifiques de tous horizons se rallient à l’idée que nos actes ont déclenché une nouvelle époque géologique. “Nous ne savons pas ce qui va se passer durant l’Anthropocène“, autrement dit “l’Age de l’Humain”, dit Erle Ellis, de l’Université du Maryland. “Ça pourrait être bien, même mieux. Mais nous devons penser différemment et globalement pour prendre possession de la planète”.

“Prendre possession de la planète”. L’hubris de notre espèce est à double détente. D’abord nous avons cru pouvoir mettre la Terre au service de nos moindres caprices. Et maintenant que nous sommes bien obligés de reconnaître qu’on a empoisonné l’eau de notre puits, nous continuons quand même à faire semblant de pouvoir trouver une nouvelle source d’eau pure.

Le cri de guerre ancestral des éco-guerriers lui-même a des accents d’orgueil mal placé. Lorsque les défenseurs de l’environnement claironnent “sauvez la planète!”, ce qu’il faut entendre c’est “sauvons notre espèce!”. Ce n’est pas la planète qui a besoin d’être sauvée, c’est notre peau. Si les humains font réellement basculer l’écheveau incroyablement complexe d’interactions chimiques et biologiques qui permettent la vie, la Terre finira par trouver un nouvel équilibre, comme elle l’a toujours fait. Pour nous autres, le virage risque d’être un peu plus dur à négocier.

Voyez ça sous cet angle: les Dieux ne sont peut-être pas complètement indifférents à nos souffrances, mais la Nature, elle, s’en fiche royalement. Seul notre indécrottable orgueil, notre hubris, nous empêche de voir que la Terre peut se secouer et se débarrasser de nous comme d’un parasite agaçant, pour laisser une autre forme de vie prendre notre place.