Articles du Vendredi (Spécial lendemain de COP21) : Sélection du 14 décembre 2015 !

A Paris, les Etats s’accordent pour sauver le climat mais ne précisent pas comment y arriver

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/A-Paris-les-Etats-s-accordent-pour-sauver-le-climat-mais-ne-precisent-pas

Les Etats ne sont pas prêts à enclencher la «révolution climatique» !

Attac France
https://blogs.mediapart.fr/attac-france/blog/121215/les-etats-ne-sont-pas-prets-enclencher-la-revolution-climatique

Accord à la COP : vraie avancée ou poudre aux yeux ?

Ronan Dantec, sénateur Europe Ecologie-les Verts et Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France, livrent, en cinq points, leurs analyses pour le moins contrastées du texte adopté samedi.
www.liberation.fr/planete/2015/12/13/accord-a-la-cop-vraie-avancee-ou-poudre-aux-yeux_1420367?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter

COP21 : « Les engagements actuels nous conduisent tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C »

Sylvain Angerand, Coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre
www.bastamag.net/Negociations-climat-1-5oC-Chiche

A Paris, les Etats s’accordent pour sauver le climat mais ne précisent pas comment y arriver

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/A-Paris-les-Etats-s-accordent-pour-sauver-le-climat-mais-ne-precisent-pas

L’accord sur le climat a été adopté dans la soirée du 12 décembre au Bourget sous un tonnerre d’applaudissements. Un quasi unanimisme entoure le texte jugé « historique ». Pourtant, à y regarder de plus près, l’accord ne précise en rien comment la communauté internationale devra agir pour ne pas dépasser un réchauffement de 2°C. Ni les moyens que les États devront débloquer pour y arriver et s’entraider. Encore moins les sanctions qui frapperaient un pays qui ne réduirait pas ses émissions. Les énergies renouvelables ne semblent pas faire partie des solutions. Au contraire du nucléaire, des techniques de manipulation de l’atmosphère ou de l’accaparement des terres. Décryptage.

 

Les traits sont tirés. Négociateurs, représentants d’ONG, journalistes… chacun regarde sa montre et n’a qu’une envie : que les heures de réunions et les nuits blanches s’achèvent sur un « accord » sur le climat. Même si celui-ci est « a minima ». Ce samedi, nombreux sont ceux qui arpentent les couloirs du Bourget avec leurs valises. « La fin de la COP est fixée par les horaires de vol de retour », ironise un fin connaisseur de ces négociations. Jusqu’au bout, le contenu de l’accord est resté secret. Toute la semaine, des compromis ont été passés derrière des portes closes réunissant négociateurs et décideurs politiques de chaque pays. La course à l’info pour les milliers de journalistes et ONG s’est parfois achevée dans les salles de repos.

Le texte final est finalement remis à 11h30 ce samedi 12 décembre en présence de François Hollande. « La seule question qui vaille, voulons-nous un accord ? », lance le président de la République. « L’accord décisif pour la planète, c’est maintenant. Il est rare d’avoir dans une vie l’occasion de changer le monde. » Comme dans une pièce de théâtre, les mots entonnés sont marqués d’intensité dramatique. La voix de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et président de la COP21, s’éraille. « Ce texte que nous avons bâti ensemble constitue le meilleur équilibre possible permettant à chaque délégation de rentrer chez soi la tête haute avec des acquis importants. » Et de citer Nelson Mandela : « Cela semble toujours impossible jusqu’à ce que cela soit fait ».

 

A quelques kilomètres de là, des cornes de brume résonnent et une ligne rouge composée de milliers de personnes se forme à Paris, en guise d’alerte sur le niveau de réchauffement qu’il ne faut pas dépasser au risque de bouleversements imprévisibles de l’équilibre de la planète (voir notre reportage).

Les discussions se poursuivent. Comme à l’accoutumée, des rumeurs circulent sur des blocages. Les pays pétroliers refuseraient la mention des 1,5 °C à ne pas dépasser. Les États-Unis feraient barrage à toute contrainte trop forte sur leurs émissions de gaz à effet de serre et sur les financements. La présidence française parvient finalement à réunir toutes les parties autour d’un même texte, nécessairement revu à la baisse. Le délégué du Nicaragua qui pointe les failles de l’accord, tout en précisant que son pays ne fera pas obstruction, est hué dans la salle de presse. L’unanimisme doit prévaloir, à tout prix. Vers 19h30, les coups de maillet successifs marquent l’adoption de l’accord [1]. Mais que contient-il ? Un indicateur : à lire les communiqués des entreprises, celles-ci se satisfont d’un « accord historique ». Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace, n’est pas étonné : « Tel que l’accord se présente, si vous voulez investir dans une nouvelle mine de charbon, le texte ne donne quasiment aucun élément pour vous persuader de ranger votre portefeuille ».

Un accord non contraignant qui entrera en vigueur en 2020

« Ce texte sera le premier accord universel de l’histoire dans les négociations climatiques », annonce François Hollande, à qui répond une salve d’applaudissements. « Nous avons là l’instrument juridique qui prend la suite du protocole de Kyoto, précise Pierre Radanne, spécialiste des questions énergétiques et climatiques. Pour la première fois, l’ensemble des pays de la planète sont engagés dans ce processus jusqu’en 2030, avec la volonté de ne pas dépasser les 2°C. » L’accord, qui entrera en vigueur en 2020, les incite même à poursuivre l’action pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C [2]. Le texte rappelle la « responsabilité commune mais différenciée des pays » inscrit dans la Convention onusienne sur le climat de 2012. Il acte que « les pays développés doivent continuer à prendre la tête » des efforts de réduction d’émissions. Les pays en développement, eux, doivent « continuer à renforcer leurs efforts d’atténuation (…) à la lumière des différents contextes nationaux », formulation qui prend donc en compte leur niveau de développement.

L’accord ne prévoit cependant aucune contrainte. Sa mise en œuvre est soumise à la bonne volonté des États. « La contrainte se joue au niveau des verbes (comme “doivent” ou “devraient” par exemple, ndlr) utilisés pour chaque action demandée aux États, précise Célia Gautier du Réseau action climat (RAC). La contrainte juridique est beaucoup plus forte lorsque ces grands accords internationaux sont traduits dans la législation nationale et des plans nationaux plus ambitieux. »

« Ce texte final est insuffisant pour enrayer le péril climatique »

Selon le groupement intergouvernemental des experts du climat (Giec), atteindre les 2°C implique de réduire de 40 à 70 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050, et même de 70 à 95 % pour ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement. Cet objectif de long terme n’apparait pas dans le texte. Pur affichage ? Quel sens accorder à ces « 2°C », alors que seul est mentionné que « les parties doivent atteindre un pic mondial des émissions de gaz à effet de serre dès que possible » ? Toujours selon le Giec, ce pic des émissions doit être atteint au plus tard aux environs de 2020. « Ce texte final est insuffisant pour enrayer le péril climatique », souligne Célia Gautier. « Le mode d’emploi présenté est vague et le calendrier repousse les efforts à plus tard. »

Dans les semaines qui ont précédé la COP, 188 pays sur 195 avaient remis leurs « contributions nationales » dans lesquelles ils présentent les efforts qu’ils envisagent pour lutter contre le changement climatique. Si l’on se fie à ces promesses de réduction, on s’achemine vers une augmentation de plus de 3° C des températures. Un seuil mettant en péril l’avenir de millions de personnes [3]. « Il faut absolument que les États renforcent leurs engagements pour contenir la hausse des températures en-deçà de 2 °C », alerte Célia Gautier. L’Union européenne affiche par exemple un objectif de réduction de ses émissions de gaz de serre de seulement 40 % d’ici à 2030, par rapport au niveau de 1990. Sans même préciser ce sur quoi s’engage chacun des États membres.

L’initiative d’une coalition « pour une haute ambition » a fait flop

Les engagements des pays sont annexés à l’accord, mais ils n’en font pas partie stricto sensu. Étant volontaires, ils n’ont pas de valeur contraignante. Pour pousser les pays qui font preuve de mauvaise volonté à accentuer leurs efforts, un « dialogue facilitateur » doit être engagé entre les parties signataires sur leurs niveaux d’engagements respectifs. Un bilan de ces engagements sera réalisé en 2023. Il pourra ensuite amener à leur révision tous les cinq ans. « Mais la révision à la hausse de ces engagements restera dépendante de l’interprétation du texte et de la bonne volonté des États », prévient Attac France. En clair, un pays qui continuerait à polluer allègrement ne sera pas sanctionné, encore moins obligé de réduire ses émissions de carbone.

Le premier rendez-vous de 2023 semble trop tardif quand on sait que la trajectoire des émissions pour les dix prochaines années est décisive pour la suite. « Si on attend plusieurs années pour revoir ces objectifs, nous sommes dans le couloir de la mort », analyse Hindou Ibrahim, de l’Association des femmes des peules autochtones du Tchad, un pays particulièrement frappé par les dérèglements climatiques. « Au lieu de prendre le problème à bras le corps aujourd’hui, l’accord repousse les échéances à 10 ou 15 ans », résume Jean-François Julliard, de Greenpeace. L’Union européenne, les États-Unis, le Brésil et quelque 80 pays en développement ont communiqué sur leur volonté de prendre les devants en s’engageant à une première révision de l’accord avant 2020, dans le cadre d’ « une coalition pour une haute ambition ». Mais cette initiative a fait flop… Dès le lendemain de l’annonce, seuls 15 pays ont rejoint la coalition.

Incertitude des financements après 2020

La question des financements a été la plus grande source de tensions. Seront-ils finalement sur la table, ces 100 milliards de dollars par an promis aux pays en développement depuis 2009 pour faire face aux conséquences du changement climatique ? Les 100 milliards apparaissent bien dans la décision (et non dans l’accord) comme « un plancher », qui est donc appelé à être relevé. Le texte précise qu’« un nouvel objectif collectif chiffré » d’aide financière devra être avancé « avant 2025 ».

Pour Armelle Lecomte, d’Oxfam, « l’accord reconnaît que davantage d’argent sera nécessaire. Mais il n’y a aucune garantie sur le long terme pour les financements. On ne sait pas s’ils continueront à croitre. » Des promesses vagues, donc.

Les ONG voulaient une révision régulière des objectifs. Or, il est aujourd’hui difficile de savoir ce qu’il se passera après 2025. Alors que les pays riches, historiquement responsables du réchauffement climatique, n’ont jamais débloqué les financements nécessaires, ils tentent ici de se dédouaner de leurs responsabilités. « Il y a eu beaucoup d’annonces unilatérales ces dernières semaines qui ont pu rassurer un certain nombre de pays vulnérables sur les financements prévus dans les cinq ans, observe Armelle Lecomte. Mais il n’y a rien de solide sur le long terme. » Toute « responsabilité ou compensation » des pays du Nord pour les préjudices subis par les pays en développement est passée à la trappe.

Les énergies renouvelables quasiment absentes

Le seuil visé est donc celui des 1,5°C. Comment le respecter ? « 1,5°C ne veut rien dire si on ne gèle pas l’extraction des combustibles fossiles. Sinon, c’est de l’hypocrisie, souligne Nnimmo Bassey, des Amis de la Terre. Plusieurs études préconisent de laisser dans le sol plus des deux tiers des réserves prouvées de pétrole et de gaz afin de ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement global maximal d’ici la fin du siècle [4]. Nulle trace du terme « fossiles » dans le texte qui ne mentionne pas non plus le « désinvestissement des énergies fossiles », ni la sobriété énergétique…

Le terme « renouvelables » est lui présent une seule fois dans le texte. Ce dernier pointe « la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’énergie durable dans les pays en développement, en particulier en Afrique, en renforçant le déploiement d’énergies renouvelables ». Si cette phrase est un premier pas, plusieurs ONG regrettent que l’attention portée aux énergies renouvelables soit trop limitée dans le texte et que le cap de 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 ne soit pas partagé par la communauté internationale. Le terme énergie « atomique », lui, est bien présent. L’Association nucléaire mondiale (World Nuclear Association) qui regroupe les acteurs de la filière nucléaire (comme Areva, EDF et Engie) s’est fendue d’un communiqué en milieu de semaine soulignant la nécessité de doubler la capacité nucléaire pour rester en-deçà des 2° C… [5]

Accaparement des terres et géo-ingénierie

Certaines formulations du texte sont des plus mystérieuses. L’accord évoque par exemple un « équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre » après 2050… Que cache cette étrange formule ? « Cela ouvre la porte à l’utilisation massive de techniques inappropriées telles que le stockage et la séquestration du carbone, la compensation carbone et la géo-ingénierie », analyse Attac France. La géo-ingénierie consiste à manipuler l’atmosphère ou les océans pour tenter d’agir sur la température globale de la planète [6].

L’accord international réduit aussi les terres agricoles et les forêts à des « puits et réservoirs de carbone ». Une vision qui heurte Maureen Jorand, du CCFD-Terre Solidaire. « Les terres ne sont pas des calculettes à carbone ! Des populations vivent dessus, et en vivent aussi, souligne t-elle. Cela ouvre la porte à une financiarisation accrue de la nature et aux accaparements de terre. Surtout cela permettra de dédouaner les plus grands pollueurs qui au lieu de réduire leurs émissions, iront séquestrer du carbone, en particulier dans les pays du Sud ».

En France comme en Chine, des collectivités locales s’engagent

Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, a fortement communiqué sur un autre texte, mentionné dans l’accord et intitulé « l’agenda des solutions » [7]. Son objectif : valoriser les initiatives volontaires de différents acteurs (villes, régions, entreprises…) pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés à l’échelle de leur pays. « Près de 80 villes, régions, provinces ou États fédérés, soit 615 millions d’habitants, se sont engagés à réduire de 80 à 95 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 par rapport à 1990 », se félicite Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. Onze villes ou provinces chinoises – qui représentent le quart des émissions chinoises – se sont par ailleurs engagées à atteindre leur pic d’émissions de gaz à effet de serre en 2020, soit dix ans avant l’objectif affiché par la Chine.

 

 

Mais certaines ONG pointent l’absence de garde-fous. Aucun critère clair permettant d’éviter les atteintes à l’environnement et aux droits des populations n’a par exemple été défini. « En novembre, on a directement interpellé François Hollande en soulignant notre inquiétude quant à la présence d’initiatives portées par Total et d’autres entreprises d’énergies fossiles, ou par l’agriculture industrielle fortement émettrice de gaz à effet de serre », souligne Maureen Jorand. La majorité des entreprises souscrivant à cet agenda le font sous des ombrelles du secteur privé comme le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), qui regroupe plus de 190 entreprises. Il n’est donc guère étonnant que des pratiques qui s’apparentent à l’agriculture climato-intelligente, promues par l’agro-industrie (comme l’a montré notre enquête), figurent dans cet agenda. Bien loin des pratiques agro-écologiques portées par les mouvements paysans.

Quand le commerce et la croissance prévalent sur le droit des peuples

L’accord note « l’importance de la justice climatique », une notion chère aux mouvements sociaux. Mais il relègue la question primordiale des droits humains, des populations indigènes et de la sécurité alimentaire au second plan [8]. Alors que les brouillons d’accord se sont succédé ces derniers jours, une notion a surgi dans la dernière ligne droite, celle de « croissance économique » accolée à celle de « développement ». « Il y a une improbable recherche de compatibilité entre une croissance globale, les questions climatiques et le développement, déplore Geneviève Azam de l’association Attac. À moins de recourir aux techniques de la géo-ingénierie, je ne vois pas comment nous pourrions concilier les trois. »

Le commerce semble donc avoir une longueur d’avance, y compris lorsqu’il s’agit de sanctionner les pays qui ne respectent pas les règles établies par les accords de libéralisation du commerce et de l’investissement. Rien de tel n’existe concernant la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Aucun mécanisme n’est mis en œuvre pour sanctionner les États qui ne prendraient pas des engagements suffisants, qui ne les mèneraient pas à bien ou qui refuseraient de revoir à la hausse leur ambition. « On a besoin d’une réforme des Nations Unies, mais ce n’était pas le mandat de cet accord, appuie Pierre Radanne. Il faut effectivement raccrocher le système de l’Organisation mondiale du commerce au système des Nations unies. » En clair, soumettre les règles du commerce international à l’objectif climatique, pour entamer un début de changement. En attendant la prochaine conférence qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016, les négociateurs se pressent pour rejoindre l’aéroport. Ils peuvent s’envoler tranquilles : toute régulation du secteur de l’aviation – qui représente 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre – a été exclue de l’accord.

 

Notes

[1Télécharger la version française de l’accord

[2] Sur les 39 pages du texte, deux parties doivent être distinguées : les 22 premières pages sont des décisions qui prennent effet avant 2020 – les décisions prises à l’issue de cette conférence climatique de Paris sont sensées mettre les États dans l’action dès 2016. Les 17 autres pages (et leurs 29 articles) concernent l’accord à proprement parler : ce dernier prend effet à partir de 2020. L’accord devra avoir été ratifié, accepté ou approuvé par au moins cinquante-cinq pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais, « à tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord », tout pays pourra s’en retirer, sur simple notification.

[3] Depuis la première conférence des parties sur le climat, la COP1 en 1995, plus de 600 000 personnes ont perdu la vie dans un désastre climatique, selon un rapport de l’ONU.

[4Lire par exemple le rapport de 2012 de l’Agence internationale de l’énergie.

[5Voir ici

[6] Lire nos différents articles sur la géoingénierie

[7] Son autre nom : le Lima-Paris action agenda. Plus d’infos

[8] Ces notions sont exclues de l’article 2 qui traite des objectifs de l’accord, et sont reléguées dans le préambule, sans valeur contraignante.

Les Etats ne sont pas prêts à enclencher la «révolution climatique» !

Attac France
https://blogs.mediapart.fr/attac-france/blog/121215/les-etats-ne-sont-pas-prets-enclencher-la-revolution-climatique

L’accord de Paris franchit les « lignes rouges » fixées par la société civile ! Dans des moments difficiles, on attend d’une conférence internationale qu’elle prenne des décisions courageuses et visionnaires. Ce n’est pas le cas à la COP 21, avec un accord très en dessous du changement de cap requis.

A l’Etat d’urgence climatique, l’accord de Paris oppose un bricolage constitué de la somme des égoïsmes nationaux, aussi bien en matière de financements que d’objectifs de réduction des émissions. Il ne faut pas oublier l’essentiel : l’accord de Paris entérine un réchauffement climatique supérieur à 3°C, sans se doter des dispositifs pour revenir sur une trajectoire inférieure à 1,5°C ou même 2°C.

François Hollande souhaitait qu’on se souvienne de la COP21 comme du moment déclenchant une « révolution climatique »1. Par bien des points, l’accord de Paris tranche en faveur des options les plus conservatrices et les moins ambitieuses qui étaient présentes dans le texte de négociation. L’accord de Paris valide une chose positive : les 195 Etats de la planète sont d’accord pour maintenir un cadre international et multilatéral – bien que très affaibli – de « gouvernance du climat » : pour véritablement changer la donne, il devient urgent que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient soumises à l’objectif climatique.

Analyse du texte sur la base des adjectifs utilisés par Laurent Fabius et François Hollande :

L’accord de Paris est-il ambitieux ?

  • en entérinant des contributions nationales (INDCs) qui conduisent vers un réchauffement supérieur à 3°C, la COP 21 se montre incapable de désamorcer la bombe climatique.
  • l’objectif d’1,5°C, qui n’est pas un objectif contraignant, ne saurait masquer l’absence d’engagements chiffrés de réduction d’émissions de GES pour les années à venir (art. 2);
  • Aucune date n’est mentionnée pour le pic des émissions et, l’objectif de long-terme, attendu pour 2050, ne concerne que la seconde partie du siècle ; la formulation de l’objectif de long-terme ouvre la porte à l’utilisation massive de techniques inappropriées telles que le stockage et la séquestration du carbone, la compensation carbone et la géo-ingéniérie.

=> Sans feuille de route clairement établie, sans mention des points de passage en 2020 et 2050 fixés par le GIEC pour revenir sur une trajectoire inférieure à 2°C, l’accord de Paris met en danger le simple droit à vivre de nombreuses populations à travers la planète.

L’accord de Paris est-il doté des moyens suffisants ?

  • Absence des 100 milliards comme plancher de financement dans l’accord de Paris, renvoyé dans le texte de décision de la COP21 et donc soumis à de nouveaux arbitrages futurs, sans force contraignante et sans amélioration par rapport à Copenhague ;
  • Manque de transparence et de prévisibilité des financements pour l’après 2020 : aucune mention des termes « nouveaux » et « additionnels » pour évoquer les financements futurs, en contradiction la Convention, pas plus que les termes « adéquats » et «prévisibles » ; absence de rééquilibrage au profit de l’adaptation ;

=> Après 25 ans de négociation, et alors qu’ils n’ont jamais débloqué les financements nécessaires, les pays riches historiquement responsables du réchauffement climatique tentent se dédouaner de leurs responsabilités !

L’accord de Paris fait-il œuvre de « justice climatique » ?

  • Suppression des références aux droits humains et des populations indigènes et à la transition juste dans les articles de l’accord de Paris, références renvoyées dans les préambules ;
  • Très net affaiblissement du mécanisme de « Pertes et dommages » puisque tout ce qui concerne les responsabilités juridiques (« liabilities ») est retiré de cet l’accord ;

=> L’affaiblissement du mécanisme de pertes et dommages sonne comme un aveu de culpabilité des pays responsables du dérèglement climatique.

L’accord de Paris est-il universel ?

  • Les secteurs de l’aviation civile et du transport maritime, près de 10 % des émissions mondiales (= Allemagne + Corée du Sud) sont exemptés de tout objectif ;
  • De nombreuses contributions des Etats (INDCs), notamment des pays les plus démunis, dépendent de financements additionnels pour mener à bien leur transition énergétique et politiques d’adaptation : ces financements ne sont pas là et pas garantis pour le futur ;

=> L’Accord de Paris ne se donne pas les moyens d’être universel et refuse de s’attaquer à la machine à réchauffer la planète que constitue la globalisation économique et financière.

L’accord de Paris est-il juridiquement contraignant ?

  • L’accord de Paris ne transforme par les INDCs en des engagements contraignants et les mécanismes de révision des engagements sont faiblement contraignants ;
  • Aucun mécanisme de sanction n’est mis en œuvre pour sanctionner les Etats qui ne prendraient pas des engagements insuffisants, qui ne les mèneraient pas à bien ou qui refuseraient de revoir à la hausse leur ambition ;

=> Alors que les accords de libéralisation du commerce et de l’investissement sanctionnent les pays lorsqu’ils ne respectent pas les règles établies, encore rien de tel en termes de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

L’accord de Paris est-il dynamique ?

  • Il sera impossible de rajouter dans les années futures tout ce qui n’est pas dans le texte de l’accord de Paris (100 milliards comme plancher, …)
  • Des inventaires (stocktaking) sont prévus tous les 5 ans, mais la mise en œuvre des révisions à la hausse reste dépendante de l’interprétation du texte et de la bonne volonté des Etats ;

L’accord de Paris est-il différencié ?

  • Avec la mise en œuvre des INDCs, les Etats ont accepté à Lima une auto-différenciation en matière de réduction d’émissions de GES : chaque pays met sur la table ce qu’il souhaite ;
  • En matière de financements, alors que la Convention-cadre prévoit que les pays historiquement les plus émetteurs débloquent les financements nécessaires à l’adaptation et la mitigation des pays qui en ont besoin, les Etats-Unis et leurs alliés ont essayé de poursuivre leur œuvre de démolition des principes de la Convention.

L’accord de Paris est-il équilibré ?

  • Aucun mécanisme clairement défini pour faciliter le transfert des technologies, notamment pour lever les barrières à l’accès générées par les droits de propriété intellectuelle ;
  • Possibilité est laissée aux pays, notamment les plus émetteurs, d’utiliser des mécanismes de compensation carbone pour atteindre leurs objectifs, au détriment d’une réduction domestique des émissions.
  • Maintien de la référence à « la croissance économique » (art. 10)

 

Par Maxime Combes – première analyse finalisée à 15h15, samedi 12 décembre

Extraits du document suivant : analyse-texte-final (pdf, 110.7 kB)

 

1François Hollande dans une interview au Parisien Magazine le 24 septembre dernier : « C’est à Paris qu’est née la Révolution française, elle a changé le destin du monde. Faisons en sorte que dans deux cents ans, on puisse dire, c’est à Paris qu’il y a eu la révolution climatique »

Accord à la COP : vraie avancée ou poudre aux yeux ?

Ronan Dantec, sénateur Europe Ecologie-les Verts et Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France, livrent, en cinq points, leurs analyses pour le moins contrastées du texte adopté samedi.
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Ronan Dantec, sénateur Europe Ecologie-les Verts

«Un accord contraignant et à vocation universelle est déjà un véritable succès»

Evaluer un texte d’accord mondial sur le climat n’est jamais aisé, tant les phrases sont parfois ambiguës ou les objectifs évasifs, l’ensemble étant le fruit d’un compromis complexe entre intérêts nationaux contradictoires, lectures géopolitiques antagonistes. Mais à un moment, il faut savoir trancher: l’accord va-t-il dans le bon sens, ou au contraire, nous éloigne-t-il de l’impérieuse nécessité de stabiliser largement sous les 2°C la montée des températures? Ma réponse est claire: oui cet accord de Paris est un réel progrès, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d’action. Pour 5 raisons.

  1. L’affichage d’un consensus international

On peut parfois ironiser sur l’intérêt de ces grandes messes mondiales et de la déclaration qui s’ensuit. Mais pour ceux qui doutent de leur utilité, il suffit de voir l’énergie déployée par certaines délégations pour enlever des objectifs et des mots symboliques pour se douter qu’elles portent quand même un véritable enjeu. Aboutir à un accord contraignant et à vocation universelle est déjà un véritable succès, qui dit au monde la nécessité absolue de lutter contre le changement climatique. C’est une défaite pour tous les lobbys, notamment ceux des énergies fossiles, qui tentent depuis des décennies de ralentir toute transition énergétique.

  1. Des objectifs ambitieux

En reconnaissant la nécessité de renforcer l’effort pour limiter l’augmentation des températures sous les 1,5°C, les 196 parties renforcent l’ambition, et surtout soulignent l’urgence de l’action. Tenir cet objectif est un défi très difficile au vu des trajectoires, mais il est désormais inscrit dans les objectifs de la communauté internationale et il faut noter que les décisions de la COP comprennent la demande d’un rapport spécial du Giec sur les enjeux du 1,5°C, ce qui renforce la prise de position.

  1. Des mécanismes de révision assez rapides

Nous savons que les contributions volontaires des Etats sont insuffisantes et nous placent sur une trajectoire insupportable vers les 3°C d’augmentation. Aussi, la rapidité des révisions est essentielle pour l’avenir. Dès 2018, les parties devront refaire le point sur leurs contributions (s’appliquant à partir de 2020), et en 2023, un état des lieux plus complet. Avec les actions engagées dès 2015 (Workstream 2), c’est bien à une généralisation des actions concrètes que doit aboutir l’accord.

  1. Un travail étroit avec les acteurs non-étatiques

Pour engager le monde sur une trajectoire compatible avec le 1,5°C / 2°C, la période entre 2015 et 2020 est essentielle. Dans l’accord de Paris, un chapitre complet et très opérationnel est consacré à ce sujet, avec des travaux d’expertise intégrant l’expérience des acteurs non-étatiques, et le renforcement du Lima Paris Action Agenda, l’agenda des solutions porté par les collectivités territoriales, les entreprises, les associations. La COP21 aura été la vitrine des dynamiques concrètes, elles sont enfin reconnues par les parties dans le texte officiel, c’est un point essentiel.

  1. Un lien climat et développement

Le lien entre les objectifs de développement durable (adoptés en septembre à New York) et l’accord de Paris sur le climat est évident mais a tardé à être confirmé. L’accès à l’énergie pour les pays en développement à travers le déploiement des énergies renouvelables, les 100 milliards de dollars annuels de soutien au sud pour l’accompagner sur le défi climatique (atténuation et adaptation), une première intégration de la question des «pertes et dommages» pour les pays les plus vulnérables sont des paragraphes clés du texte, des victoires importantes. Cette convergence des agendas climat et développement devra encore être crédibilisée par des mécanismes concrets.

Elle trace cependant un nouvel horizon de la communauté internationale, pour un monde déclinant, du local au global, coopération et solidarité.

A lire aussi Notre analyse La COP 21 s’achève sur un accord «historique», et la réaction de Kumi Naidoo, directeur exécutif international de Greenpeace: «Le mouvement pour la justice climatique a remporté le combat»

Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France (1)

«Les populations les plus vulnérables n’obtiennent pas de droits nouveaux»

Dans des moments difficiles, on attend d’une conférence internationale qu’elle prenne des décisions courageuses et visionnaires. L’accord de Paris est très en dessous du changement de cap requis.

  1. Une absence de feuille de route

Il était attendu que la COP21 fixe un horizon qui éclaire les choix politiques économiques des années à venir, avec des points de passages précisément identifiés. Avec un objectif de long terme incompréhensible qui ne concerne que la seconde moitié du siècle, sans traduction chiffrée, la mention des 2°C (ou même de 1,5°C) de réchauffement maximum tombe comme un cheveu sur la soupe. Qui plus est si l’on compare cet objectif aux contributions nationales (INDCs) que les Etats ont posé sur la table et qui conduisent à un réchauffement global supérieur à 3°C. L’écart entre le réel et le souhaitable se cristallise un peu plus.

  1.  Des financements démonétisés

En vingt-cinq ans de négociation et malgré la Convention de l’ONU qui les y oblige, les pays historiquement les plus émetteurs de gaz à effet de serre ont toujours rechigné à débloquer les financements dont les pays du Sud ont besoin pour s’adapter et faire transiter leur économie. La COP21 ne déroge pas à la règle. Les financements pour l’après 2020 manquent de transparence et de prévisibilité: si les 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 sont à nouveau promis, six ans après Copenhague, rien n’assure leur pérennité. Pas plus que des financements «nouveaux» et «additionnels» pourtant nécessaires pour que les Etats du Sud mènent à bien leurs INDCs. Les pays du Sud demandaient un net rééquilibrage des financements au profit de l’adaptation. Pas gagné.

  1. Une justice climatique dépréciée

Le terme «justice climatique» fait son entrée dans le vocabulaire de l’ONU, mais il n’est reconnu comme «important» que pour «quelques pays». Toutes les références aux droits humains et des populations indigènes, aux inégalités de genre ou encore à la «transition juste» portée par les syndicats, ont été déclassées dans des parties du texte moins engageantes et non opposables en droit international. Les populations les plus vulnérables n’obtiennent pas de droits nouveaux ou de nouveaux outils pour se défendre. L’affaiblissement du mécanisme des «pertes et dommages» sonne comme un aveu de culpabilité des pays responsables du réchauffement climatique.

  1. Portes ouvertes à la compensation carbone?

L’introduction tardive d’un vocabulaire autour des réservoirs de carbone et de la possibilité de transférer des «résultats d’atténuation au niveau international», notamment sous l’impulsion de l’Union européenne et du Brésil, peut maintenir, voire encourager, les pratiques et dispositifs de compensation carbone. Problème: c’est bien de réduction d’émissions domestiques dont nous avons besoin pour rester en deçà de 2°C (ou mieux 1,5°C), et non d’autoriser nos économies et entreprises carbonées à pratiquer la compensation carbone.

  1. Le déséquilibre du droit international n’est pas inversé

Les 195 Etats de la planète sont d’accord pour maintenir un cadre multilatéral de «gouvernance du climat». C’est une bonne nouvelle. Il faut désormais aller beaucoup plus loin, et plus vite, pour que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient rapidement soumises à l’objectif climatique. En exemptant les secteurs de l’aviation civile et du transport maritime – près de 10% des émissions mondiales – l’accord de Paris ne nous fait pas avancer et il sanctifie le décalage abyssal existant entre la bulle des négociations et la globalisation économique et financière. Il est urgent de passer de la climatisation des discours à la climatisation des politiques économiques.

(1) Auteur de Sortons de l’âge des fossiles, Manifeste pour la transition (Seuil, Anthropocène, 2015)

COP21 : « Les engagements actuels nous conduisent tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C »

Sylvain Angerand, Coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre
www.bastamag.net/Negociations-climat-1-5oC-Chiche

La première semaine de la COP21, des négociateurs venus de 195 pays se sont accordés sur un projet de texte adopté le 5 décembre. C’est sur cette base que planche une centaine de ministres pour élaborer un accord mondial sur le climat d’ici le 11 décembre. Que faut-il en attendre ? « Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota », déplore l’association des Amis de la Terre. Elle préconise plusieurs pistes d’actions pour construire le monde, soutenable, de demain.

 

+1,5°C ? Chiche ! Après une dizaine de jours de négociations, c’est aujourd’hui que Laurent Fabius doit mettre sur la table le texte quasi-finalisé qui préfigurera l’accord de Paris sur le climat. Depuis le début de la COP 21, et le discours de François Hollande, la France affiche une ambition renouvelée et feint de soutenir une demande clé des pays les plus vulnérables : stabiliser le climat à un maximum de +1,5°C par rapport au début de l’ère pré-industrielle. Du bluff ?

 

Depuis le milieu du XIXème siècle, la température moyenne du globe a déjà augmenté de +0,85°C. L’objectif fondamental de la Convention des Nations Unies sur le Climat est de ne pas dépasser un réchauffement moyen de +2°C d’ici la fin du siècle : or, un tel réchauffement aurait déjà des impacts majeurs sur la sécurité alimentaire, la stabilité des écosystèmes et entraînerait – de facto – la disparition des zones habitées proches du niveau actuel de la mer. Un risque inacceptable pour les pays exposés d’où l’appel à être plus ambitieux, et à fixer une limite de +1,5°C [1]. Précisons ici, que la science du climat n’est pas une science de l’exactitude mais un complexe jeu d’interactions et de probabilités : l’objectif est d’éviter à tout prix de franchir des seuils au-delà desquels la machine climatique s’emballerait. D’où l’importance d’agir au plus vite.

Écran de fumée

Or justement, c’est là que le bât blesse. La surenchère sur l’objectif de long terme de stabilisation du climat est un écran de fumée pour mieux masquer l’absence de volonté des pays développés à agir à court terme. Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota et – même s’ils étaient respectés – ils nous conduiraient tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C.

Le décalage est encore plus flagrant si l’on analyse les engagements annoncés par les pays développés à travers le prisme de l’équité c’est à dire en intégrant la responsabilité historique de chaque pays [2] S’ils étaient sérieux et responsables, les pays développés devraient s’engager à une réduction drastique de leurs émissions de l’ordre de 50 % d’ici 2020, 75 % d’ici 2025 et 90 % d’ici 2030 ! Cela impliquerait de bouleverser en profondeur l’ensemble des politiques publiques encadrant l’industrie, le commerce, l’habitat, le transport ou encore l’agriculture.

Contradictions françaises

Mais la France, comme la plupart des pays développés, continue de s’arc-bouter sur des modèles économiques obsolètes et de s’enliser dans ces propres contradictions. Alors que les scientifiques estiment qu’il faudrait laisser un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles du gaz et plus de 80 % de celles de charbon dans le sol [3], le Ministère de l’Écologie a délivré, deux mois avant le début de la COP 21, trois nouveaux permis de recherche pour des hydrocarbures.

Là, où il faudrait mettre un terme aux pires pratiques des entreprises, la France leur déroule le tapis vert et leur ouvre les portes du Grand Palais : la présence d’Engie ou d’EDF comme sponsor de la COP 21, deux entreprises dont l’État français est actionnaire et dont les centrales à charbon représentent l’équivalent de plus de la moitié des émissions françaises de gaz à effet de serre [4] liées au secteur de l’énergie, est un camouflet aux pays les plus vulnérables. Les accords commerciaux conclus, ou en cours de négociation, entre l’Union Européenne, le Canada et les États-Unis constituent un appel d’air pour les bateaux chargés d’hydrocarbures extrêmement polluants, issus des sables bitumineux de l’Alberta. Faut-il en ajouter ?

Comment agir ?

Ce « schisme de réalité » – est pour reprendre l’expression proposée par Stefan Aykut et Amy Dahan [5] – est le principal défi auquel se heurte aujourd’hui la société civile. Alors quand la parole politique se délite au point de ne même plus faire un effort minimum de cohérence, comment agir ?

Partout dans le monde et en France, des alternatives se structurent, des initiatives citoyennes se multiplient, des entreprises s’organisent différemment et l’ensemble de ces actions participent à construire, dès aujourd’hui, le monde dans lequel nous voulons vivre demain. Ce qui est incroyablement porteur d’espoir, c’est que nous avons tout sous la main : nul besoin d’attendre des ruptures technologiques majeures pour s’approvisionner en énergie 100 % renouvelables comme le démontre avec brio le scénario Negawatt. L’enjeu, c’est d’arriver à accélérer au plus vite la diffusion et la normalisation de ces alternatives.

L’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir

Il y a encore 5 ans, habiter une maison en paille était une excentricité, aujourd’hui, ce type de construction est normalisé et accessible à tous. Le boom du covoiturage est en train de bousculer le mythe de la voiture individuelle et cela, en quelques années seulement. Au début des années 2000, les premières associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont apparues en France : aujourd’hui, il y en a près de 1600 et il n’est plus tabou de privilégier l’achat de produits locaux. Rien n’est impossible : la plupart des réacteurs nucléaires français ont été construits en moins de 10 ans et ont bouleversé la donne énergétique, l’histoire a montré comment des pays sont capables de profondément modifier leur appareil de production en basculant sur une « économie de guerre ». Pourquoi de tels changements ne seraient pas possible pour construire une « économie de paix » ?

Il n’est peut-être pas encore trop tard pour tenter de stabiliser le climat. Ce qui est sûr, c’est que l’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir : nous, ne pouvons compter que sur nous et notre capacité à organiser et accélérer les indispensables transitions dans les prochaines années. Le 12 décembre [6], plus nous seront nombreux à nous mobiliser, plus nous pourrons montrer la force de notre mouvement et notre détermination à ne pas leur laisser le dernier mot.

Notes

[1Lire ici

[2] Climate Equity Reference Project, “Equity narrative : from principles to a quantative framework”, Novembre 2015.

[3] Christophe McGlad et Paul Ekins “The geographical distribution of fossils fuels unused when limiting global warming to 2°C”, Nature n°517, 7 janvier 2015.

[4] Amis de la Terre et Oxfam “Emissions d’Etat : comment les centrales à charbon d’EDF et Engie réchauffent la planète” mai 2015

[5] Stefan Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Sciences Po, 2015

[6] Voir le site de la Coalition Climat 21 et des Amis de la Terre