Articles du Vendredi : Sélection du 5 décembre 2014!

Climat : les 10 mesures urgentes et concrètes que François Hollande n’a pas prises

Maxime Combes
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/011214/climat-les-10-mesures-urgentes-et-concretes-que-francois-hollande-na-pas-prises

Blockadia et Alternatiba, les deux piliers de la justice climatique (2/2) – Pour avoir le dernier mot, faisons de Paris2015 un « Seattle des fausses solutions » et un « Cochabamba de la transition écologique et sociale »

Maxime Combes
https://france.attac.org/se-mobiliser/vers-la-cop21/article/blockadia-et-alternatiba-les-deux

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Climat : les 10 mesures urgentes et concrètes que François Hollande n’a pas prises

Maxime Combes
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/011214/climat-les-10-mesures-urgentes-et-concretes-que-francois-hollande-na-pas-prises

Lors de la conférence environnementale, François Hollande a indiqué qu’il espérait « laisser sa trace » dans l’histoire en obtenant un « accord historique » en 2015. Peut-être ferait-il bien de commencer par ces dix mesures urgentes. Pour passer aux actes et ne plus se payer de mots.

« Assez de mots, des actes ». C’est sur ce mot d’ordre qu’une majorité d’ONG et de mouvements avaient décidé de quitter les négociations à Varsovie lors de la précédente conférence de l’ONU sur le changement climatique en novembre 2013. Alors que les négociations de l’ONU reprennent ce lundi 1er décembre à Lima, voici une série de 10 mesures que François Hollande et Manuel Valls auraient pu annoncer lors de la Conférence environnementale. Pour que la petite phrase selon laquelle « le climat sera une grande cause nationale en 2015 » soit suivie d’effets.

1. Supprimer les financements climaticides

Lors de la conférence environnementale, François Hollande a annoncé vouloir stopper les crédits à l’export liés au charbon ainsi que pousser l’UE à stopper à terme toute subvention aux énergies fossiles. Ces annonces, sans calendrier de mise en œuvre, sont minimes. En effet, aussi incroyable que cela puisse paraître au regard des engagements maintes fois répétés en faveur de la lutte contre les dérèglements climatiques, la France finance le développement des énergies fossiles à travers des fonds publics. Par l’intermédiaire de la Banque européenne d’investissements (BEI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque Mondiale mais aussi par l’intermédiaire de l’Agence française de développement et la Coface, la France, malgré quelques avancées récentes sur la diminution des financements en faveur du charbon, continue de financer directement ou indirectement le développement d’énergies climaticides. Par ailleurs, l’État, en tant qu’actionnaire d’entreprises publiques comme EDF ou GDF Suez contribue à maintenir de hauts niveaux d’investissement dans les énergies fossiles dans les pays du Sud et en Europe de l’Est. C’est tout simplement irresponsable. A la fois pour le climat, mais aussi pour les pays où atterrissent ces financements dont la dépendance aux énergies fossiles s’accroit ou perdure alors qu’il faudrait les aider et les soutenir pour en sortir. (voir le CP des Amis de la Terre)

2. Annuler (et rejeter les demandes de) permis de recherche d’hydrocarbures

François Hollande avait promis qu’il n’y aurait pas « pas d’exploration de gaz de schiste en France ». Pourtant, depuis son élection, le gouvernement a délivré de nouveaux permis, en a prolongé d’autres et rechigne à annuler toute une série de permis existants qui ciblent clairement des hydrocarbures de schiste. Réunis en coordination nationale à Lyon les 22 et 23 novembre 2014, les collectifs citoyens opposés à la recherche et l’exploitation des pétrole et gaz de schiste et de houille « constatent que l’opacité sur la délivrance des permis de recherche hydrocarbure et autorisations de travaux persiste ». 119 demandes de permis sont en cours d’instruction tandis que 54 permis de recherche sont encore valides. Ainsi, dans le Nord/Pas-de-Calais, deux autorisations de travaux pour des forages d’exploration ont été délivrés à Avion et Divion, forages qui pourraient être entamés d’ici peu. Tout récemment, le Collectif « Plaines du Languedoc » a adressé une Lettre ouverte à la Ministre de l’Ecologie exigeant que le permis exclusif de recherches d’hydrocarbures du même nom ne soit pas prolongé. Aucune annonce en ce sens n’a été faite à l’occasion de la Conférence environnementale.

3. Ne plus encourager Total à investir dans les énergies fossiles

A lire la Une du Monde daté du 21 novembre, il faudrait croire en la « conversion » de François Hollande à l’urgence climatique. Pourtant quelques semaines plus tôt, le 2 novembre, François Hollande avait jugé bon de se rendre en Alberta, au Canada, pour encourager les investissements de Total et des entreprises françaises dans le pétrole des sables bitumineux, l’un des plus polluants de la planète. Le jour-même où le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publiait la synthèse de son 5e rapport confirmant la gravité de la situation et la très grande responsabilité des États. Ce n’était pas un simple télescopage médiatique. Mais la décision du Président de la République d’envoyer au signal au secteur industriel : le gouvernement n’entend pas assujettir les investissements privés à la contrainte climatique et aux recommandations des experts du climat. Si François Hollande et le gouvernement étaient véritablement convaincus de l’urgence climatique, ils auraient pu utiliser la tribune de la Conférence environnementale pour expliquer que l’urgence climatique impose de laisser la majorité des réserves prouvées d’énergies fossiles dans le sol et qu’il est donc grand temps de stopper les investissements en la matière. Y compris en Alberta et y compris Total. Ils ne l’ont pas fait.

4. Conditionner TAFTA au respect des exigences climatiques

Le soutien aux énergies fossiles ne se limite pas aux subventions et facilités fiscales : le régime commercial et d’investissement international bloque toute transition vers un régime énergétique post-fossile. Le 10 février 2014, dans une tribune au Monde, Barack Obama et François Hollande s’étaient auto-décernés un rôle (très usurpé) de « leadership » en matière climatique : pourquoi ne pas alors conditionner la poursuite des négociations TAFTA, dont le mandat européen de négociations ne fait pas mention des exigences climatiques, aux urgentes et nécessaires réductions d’émission de gaz à effet de serre ? La Commission européenne elle-même reconnaît d’ailleurs que TAFTA génèrerait une hausse des émissions de GES de quatre à onze miles tonnes de CO2 par an. Cette hausse, même limitée, n’est-elle pas contraire aux exigences climatiques ? Visant notamment à encourager l’exploitation et le commerce transatlantique d’énergies fossiles, TAFTA – ainsi que l’accord en cours de finalisation entre l’UE et le Canada – induirait de nouveaux investissements dans le secteur (nouvelles infrastructures d’extraction, de transport, de raffinage, etc) et pérenniserait une dépendance aux énergies fossiles et des niveaux d’émission insoutenables pour des dizaines d’années. Entre le climat et Tafta, il faut choisir. Hollande a choisi Tafta.

5. Abandonner les grands et petits projets inutiles

François Hollande et le gouvernement vont-ils accueillir la conférence de l’ONU sur le climat de décembre 2015 à Paris sans avoir définitivement écarté le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, un projet contraire aux exigences climatiques ? Tout en détruisant de nouvelles zones humides, pourtant cruciales sur le plan du climat, aux quatre coins de la France (Testet, Chambaran, ligne Lyon-Turin ? A la conférence environnementale, François Hollande a largement évoqué une renforcement de la démocratie participative pour pouvoir « arrêter un mauvais projet » : les préfets, dépositaires de l’autorité de l’Etat, ne pourraient-ils pas commencer par ne pas autoriser les projets critiqués par les enquêtes publiques, tels que le barrage de Sivens, l’aéroport de Notre-Dame des Landes, le Center Parcs des Chambaran, etc ? Abandonner ces projets, c’est récupérer des moyens financiers importants – plusieurs dizaines de milliards d’euros – pour financer de véritables projets et politiques de transition écologique et sociale.

6. Entamer une véritable transition écologique et sociale

De nombreux et intéressants scénarios de transition énergétique sont sur la table. Par ailleurs, il est déjà possible de renforcer la résilience des territoires et des populations à travers les nombreuses expérimentations et innovations sociales qui mobilisent des dizaines de milliers de personne. Les défis climatiques nécessitent d’encourager, déployer et décupler les trésors d’innovation sociale et citoyenne sur les territoires. Plutôt que de s’entêter à construire des infrastructures inutiles, dispendieuses et dévastatrices, François Hollande et le gouvernement feraient mieux de financer des projets utiles contribuant à la transition écologique et sociale : souveraineté alimentaire et agroécologie paysannes, circuits-courts, relocalisation de l’économie, partage du travail et des richesses, isolation des logements, reconversion sociale et écologique de la production en assurant le maintien des emplois, réappropriation et promotion des biens communs, réparation et recyclage, réduction des déchets, transports doux et mobilité soutenable, éco-rénovation, énergies renouvelables. Ce n’est pas la politique choisie par François Hollande et le gouvernement.

7. Une véritable taxe sur les transactions financières pour financer la transition

Au moment où le Sud de la France est l’objet de nouvelles inondations dévastatrices, et alors que les phénomènes climatiques extrêmes vont se multiplier et s’intensifier dans les années à venir, aussi bien en France que sur le reste de la planète, François Hollande et le gouvernement français sabotent la proposition de taxe sur les transactions financières (TTF) pour préserver les profits des banques françaises, leaders mondiales de la spéculation sur les produits dérivés. Pourtant, une véritable TFF serait une des sources possibles de financement des politiques d’adaptation au dérèglement climatique, financements jusqu’ici insuffisants. Il est temps que François Hollande et le gouvernement français s’engagent sur des financements publics additionnels en matière de climat, notamment à travers une véritable TTF comme le réclament trois cents organisations internationales, sans se reposer sur d’improbables et inadaptés financements privés.

8. Engager un véritable effort de développement des énergies renouvelables

A l’écoute des grandes multinationales de l’énergie européennes, l’UE s’est doté d’un maigre objectif de 27 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 qui ne permettra pas d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Europe et qui laissera les mains libres aux pays récalcitrants. En reprenant à son compte l’exigence issue du Débat national sur la transition énergétique visant à diminuer de 50 % la consommation d’énergie finale en France d’ici 2050, tout en y ajoutant un plafonnement de l’énergie nucléaire et une exigence de réduction de 30 % de la consommation d’énergie fossile d’ici 2030, la loi en faveur de la transition énergétique implique un engagement plein et entier des pouvoirs publics dans le développement des énergies renouvelables décentralisées sur le territoire. Pourtant, il n’y a pas grand chose de mis en œuvre à ce jour.

9. De véritables réductions d’émission avant et après 2020 !

Selon un rapport du PNUE1, si rien ne change, les pays de la planète vont émettre 13 gigatonnes de CO2 de trop en 2020 (57 gigatonnes au lieu de 44 gigatonnes de CO2) par rapport aux trajectoires acceptables pour conserver une chance raisonnable de rester en deçà des 2°C d’augmentation de la température mondiale moyenne d’ici la fin du siècle. L’Union européenne ne veut pas entendre parler de revoir à la hausse l’objectif de 20 % de réduction d’émissions d’ici à 2020 qu’elle s’est donnée et qui est déjà atteint (si l’on ne tient pas compte des émissions importées) et qui est très en deçà ce qui pourrait et devrait être atteint.

Pour l’après 2020, et d’ici 2030, l’UE s’est engagé sur un objectif de 40 % de réductions d’émissions par rapport à 1990. Cet objectif est largement insuffisant. Adopter un objectif de 40 % de réductions d’émissions d’ici 2030 revient à repousser à l’après 2030 l’essentiel des efforts. Rappelons en effet que l’objectif officiel pour 2050, cohérent avec les recommandations unanimes des scientifiques, est une baisse minimale de 80 % des émissions, soit -2,5 % par an. Or l’objectif de -40 % en 2030 permet de se contenter d’une baisse de 1,3 % par an : deux fois moins que le nécessaire. Du fait du retard ainsi pris, il faudra ensuite une baisse de 5 % par an pour atteindre l’objectif en 2050 !

Pourquoi la France ne pourrait-elle pas s’engager à revoir très sensiblement à la hausse ses engagements de réduction d’émission d’ici à 2020 et pour l’après 2020 plutôt que de maximiser la quantité totale d’émissions qu’elle va accumuler dans l’atmosphère au cours de la période ?

10. Placer l’intérêt collectif hors d’atteinte des lobbies économiques

L’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) exclut la participation de l’industrie du tabac dans l’élaboration des politiques de santé publique en raison du « conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de cette industrie et ceux de la politique de santé publique ». Pourquoi n’en serait-il pas de même dans le cadre des négociations sur le changement climatique pour l’ensemble des industries les plus fortement émettrices de gaz à effets de serre ? Réformer la CCNUCC n’est pas chose aisée. Néanmoins le simple fait de mettre cette question sur la table marquerait la volonté de se libérer du poids des intérêts privés au profit de l’intérêt général. François Hollande et le gouvernement français ont donc le choix : organiser et institutionnaliser l’expansion de la mainmise des lobbies économiques et financiers sur les négociations climat, et plus largement sur l’ONU et ses programmes, ou bien contribuer à limiter et encadrer strictement leur influence. Interpellés par le CRID, le RAC et Attac France sur ce point, le gouvernement n’a jamais répondu.

Blockadia et Alternatiba, les deux piliers de la justice climatique (2/2) – Pour avoir le dernier mot, faisons de Paris2015 un « Seattle des fausses solutions » et un « Cochabamba de la transition écologique et sociale »

Maxime Combes
https://france.attac.org/se-mobiliser/vers-la-cop21/article/blockadia-et-alternatiba-les-deux

Décentrer notre stratégie : de la COP21 à Paris2015

Une transformation si profonde des sociétés et des économies ne se fera pas en deux coups de cuillère à pot. C’est une évidence. Nous ne l’obtiendrons pas et nous ne l’imposerons pas lors d’un conférence de l’ONU telle que la COP21 de Paris2015. C’est une autre évidence. Est-ce suffisant pour en délégitimer l’horizon et ranger cette ambition sous le paillasson du réalo-pragmatisme qui nous inviterait à nous restreindre à ce qui pourrait être avalisé par des chefs d’État si peu ambitieux et si peu exigeants ? À l’inverse de certains, nous ne le croyons pas. Au contraire. ONG et mouvements sociaux et écologistes devraient se fixer pour objectif de réencastrer les négociations et politiques portant sur le climat dans une bataille généralisée visant à transformer profondément le capitalisme néolibéral productiviste et dévastateur qui sévit partout sur la planète. Le fait qu’il n’y ait pas grand chose de tangible, pas grand chose à gagner, et rien qui ne soit à la hauteur des enjeux, dans les négociations, rebat les cartes. La majorité des organisations de la société civile l’a d’ailleurs montré lors de la conférence de Varsovie en 2013 en décidant de quitter les négociations [30]. Par ailleurs, certaines institutions internationales, comme la Banque mondiale, ont décidé de ne pas attendre un accord international au sein de l’ONU pour mettre en œuvre leurs projets [31] en matière climatique, et nous invitent donc à ne pas se focaliser uniquement sur les conférences de l’ONU sur les dérèglements climatiques.

En continuant à agir comme ils le font, les gouvernements disent à l’opinion publique internationale qu’il n’y a pas grand chose d’ambitieux à gagner lors de la COP21. Ce faisant, ils offrent l’opportunité à la société civile de délaisser les « texts and brackets » [32] des négociations pour se concentrer sur une stratégie de long terme, dont Paris2015 ne serait qu’une étape, qu’une caisse de résonance, visant à transformer durablement le rapport de force en faveur d’une transition écologique et sociale d’ampleur. En quelque sorte, c’est au nom de l’urgence de l’action pour le climat qu’il faudrait urgemment ne plus se focaliser sur la Convention climat de l’ONU, ne plus se perdre dans la technicité des négociations. Ainsi, il serait possible de dégager du temps et de l’énergie pour prendre du recul et se servir de Paris2015 comme d’un moment clef dans la perspective d’accumuler de la force et de l’énergie qui nous seront absolument nécessaires dans les mois qui suivront. Bien-entendu, ceci ne signifie pas qu’il faille se désintéresser complètement des négociations et de l’ONU. Cela signifie au contraire qu’il faudrait utiliser ce rendez-vous pour décentrer l’attention, pour imposer notre propre agenda et pour mener toute une série de batailles clefs gagnables et qui ne se jouent pas nécessairement à l’intérieur de l’ONU. En un sens, passer de l’appellation COP21 à Paris2015 revient à ne pas réduire la lutte contre le changement climatique aux négociations de l’ONU, et au contraire à l’élargir à toute une série de problématiques et conflits en cours qui n’y sont pas systématiquement rattachés.

De la justice climatique à Alternatiba et Blockadia

Les bilans d’après Copenhague des coalitions Climate Justice Action [33] et Climate Justice Now ! [34]pointaient déjà la nécessité de ne plus faire dépendre la construction d’un mouvement global pour la justice climatique de l’agenda des sommets globaux : après le succès de l’action de désobéissance civile non violente Reclaim Power [35] du 16 décembre 2009, engagement avait été pris de décentraliser et démultiplier l’organisation d’assemblées des peuples, au niveau local et régional [36]. Contre les projets climaticides et pour mettre en œuvre des solutions directes, il s’agissait de s’appuyer sur des formes de solidarités translocales – des solidarités entre des luttes ou des alternatives ancrées sur les territoires – comme vecteur de la construction d’un mouvement global. Ce défi, colossal, est toujours présent : comment relocaliser et ancrer nos imaginaires et nos mobilisations dans des expériences et des réalités concrètes, y compris de la vie quotidienne [37], dans la perspective de redécouvrir notre puissance d’agir collective ? Une puissance d’agir qui sera d’autant plus forte, et plus large, si nous sommes en mesure de nous dégager d’une logique de sensibilisation et de mobilisations citoyennes qui repose sans doute trop sur une heuristique de la science et de l’expertise : il ne suffit pas de savoir que le réchauffement climatique est là pour passer à l’action. Si l’empilement des rapports d’expertise n’implique pas mécaniquement des mesures et des politiques à la hauteur des enjeux, il ne déclenche pas non plus la mobilisation citoyenne générale. Au contraire, cette seule approche génère sans doute plus de sidération que d’engagement.

Deux dynamiques citoyennes nous semblent contribuer à ce processus de relocalisation des luttes et des imaginaires tout en conservant la perspective d’un mouvement global pour la justice climatique se confrontant aux causes structurelles du réchauffement climatique. La première s’appuie sur les « frontline struggles », ces luttes qui visent à stopper l’expansion de la frontière extractiviste (des hydrocarbures de schiste aux nouveaux projets miniers) et la construction de nouvelles infrastructures inutiles, imposées et inadaptées (aéroports, autoroutes, barrages, stades, etc.). À la suite des puissantes mobilisations en Amérique du Nord contre la construction de nouveaux pipelines visant à exporter le pétrole issu des sables bitumineux d’Alberta (Canada), nous pourrions appeler cette dynamique de mobilisation internationale Blockadia [38]. Sur l’autre versant se situe la dynamique d’innovation, de développement, de renforcement et de mise en lumière des expériences alternatives concrètes, qu’elles soient locales ou à prétention régionale et globale-, et qui visent à transformer profondément nos modèles de production et de consommation jusqu’ici insoutenables. En empruntant le terme au processus lancé en octobre 2013 à Bayonne (Pays Basque) par Bizi ! et des dizaines d’organisations basques, espagnoles et françaises, nous pourrions, par extension, appeler Alternatiba cette dynamique citoyenne à l’oeuvre, sous des formes différentes, aux quatre coins de la planète.

Ces deux dynamiques incarnent clairement un virage éco-territorial des luttes sociales, pour reprendre le terme que la sociologue argentine Maristella Svampa [39] utilise pour caractériser l’essor des luttes en Amérique latine qui mêlent langage écologiste et pratique de la résistance et de l’alternative inscrite dans des territoires. Le territoire n’est pas ici un confetti qu’il faudrait sauver des dégâts du productivisme, de l’industrialisation ou de la mondialisation néolibérale. Il est au contraire l’espace à partir duquel se construisent résistances et alternatives, c’est-à-dire à partir duquel se pense et s’expérimente le dépassement des modèles économiques, financiers et technologiques insoutenables actuels. Ici, aucun égoïsme du type « je ne veux pas de ce projet chez moi, ailleurs, je m’en fiche » : la préservation, la promotion et la résilience de tous les territoires représentent l’horizon d’ensemble. D’une certaine façon, les mobilisations contre les gaz et pétrole de schiste, en France et dans de nombreux autres pays, qui clament « Ni ici ni ailleurs » [40], notamment lorsqu’elles se doublent d’exigences de transition énergétique radicale, participent de cette même logique.

Élargissement et radicalisation pour imposer la transition écologique et sociale

De notre point de vue, si ces deux processus ont des points de départ distincts, ils ouvrent des espaces qui sont source à la fois d’élargissement et de radicalisation des dynamiques citoyennes pour la justice climatique. Elargissement parce qu’en s’appuyant respectivement sur l’opposition à un projet dévastateur qui touche notre quotidien, et sur le développement d’expériences qui améliorent notre quotidien et donne à voir le monde de demain, ces deux processus rendent possibles l’inclusion de franges de la population qui ne s’impliqueraient pas dans des espaces militants classiques. Il n’y a point besoin d’être expert-e-s en climatologie ou science de l’environnement pour s’impliquer dans ces dynamiques. Ce sont par ailleurs deux processus qui autorisent la juxtaposition de pratiques, tactiques et stratégies diverses et variées [41] : il est possible de s’engager sans avoir à se conformer à un moule militant souvent perçu et vécu comme trop étroit. Cet élargissement est également un processus de radicalisation, ne présageant pas de la « radicalité » des participants : se confronter à la puissance des promoteurs des projets climaticides ou à la difficulté de déploiement des alternatives concrètes à grande échelle, permet de toucher du doigt que la lutte contre le changement climatique n’est pas soluble dans un grand récit de l’unification de l’espèce humaine, du dépassement de tous les clivages.

Hydrocarbures de schiste, expansion de la frontière extractiviste, grands et petits projets inutiles, accords de libre-échange et d’investissements, dispositifs de financiarisation de la nature, agro-industrie et OGM, nucléaire, accroissement des inégalités, lobbying effréné des multinationales, banques climaticides, les luttes locales et les batailles globales pour affaiblir tous ceux qui entravent la lutte contre les dérèglements climatiques ne manquent pas. Tout comme les batailles pour mettre en œuvre des expériences alternatives concrètes : souveraineté alimentaire et agroécologie paysannes, circuits-courts, relocalisation de l’économie, partage du travail et des richesses, isolation des logements, reconversion sociale et écologique de la production en assurant le maintien des emplois, réappropriation et promotion des biens communs, réparation et recyclage, réduction des déchets, transports doux et mobilité soutenable, éco-rénovation, énergies renouvelables, etc. Du côté des dynamiques Blockadia et Alternatiba, il est clairement assumé que la transition écologique et sociale nécessite de profonds changements structurels que les élites rejettent pour ne pas transformer un système politique et économique qui assure leur domination et leur puissance. Pour faire refluer l’emprise des multinationales et des intérêts privés sur nos vies, la nature et notre avenir, appuyons-nous donc sur ces luttes et ces alternatives afin de les renforcer et de les rendre incontournables.

Faire de Paris2015 un « Seattle des fausses solutions » et un « Cochabamba de nos solutions » !

Faire de Paris2015 un « Seattle des fausses solutions » revient à travailler pour que Paris2015 soit un moment fondateur du mouvement pour la justice climatique comme Seattle et Cochabamba le furent pour le mouvement altermondialiste, afin d’ébranler, et enterrer si nous le pouvons, toutes ces promesses techno-scientifiques et néolibérales consistant à affirmer que de nouvelles technologies, des investissements de multinationales et des mécanismes de marché peuvent solutionner la crise climatique. La référence à Seattle fait écho aux actions de désobéissance civile dont nous avons besoin pour démontrer l’illégitimité de toutes les fausses solutions qui sont promues lors des conférences de l’ONU sur le changement climatique. La référence à Cochabamba [42] renvoie elle à l’un des moments fondateurs des luttes contre les multinationales visant à se réapproprier l’eau qui a conduit à plus de 180 cas de remunicipalisation de l’eau dans le monde en quinze ans [43]. Cela revient à faire de Paris2015 un moment, parmi d’autres, de la construction d’un mouvement international pour la justice climatique qui soit capable de se mobiliser dans la durée et d’accumuler de la force, d’engranger des petites et des grandes victoires tout en racontant une histoire mobilisatrice. Moins focalisés sur « les texts and brackets » [44], et plus sur notre propre agenda, sur la construction de nos « actions et alternatives ».

Cette référence à Seattle n’est pas nouvelle. Déjà à Copenhague, en 2009, nous avions évoqué un « Seattle-like-moment », en nous appuyant sur une mobilisation citoyenne massive et dynamique, mêlant à des initiatives classiques (manifestation, sommet des peuples etc.) des actions de désobéissance civile d’ampleur (l’action Reclaim Power du 16 décembre) et une articulation plutôt réussie entre l’intérieur et l’extérieur des négociations. Néanmoins, en positionnant la grande manifestation le week-end situé entre les deux semaines de négociation, et les actions en amont de la fin du sommet, que ce soit à Copenhague ou ailleurs, la société civile internationale raconte peu ou prou la même histoire, quel que soit son mot d’ordre : « à vous les gouvernements d’agir pour lutter efficacement contre les dérèglements climatiques ». Cela revient à donner les clefs aux gouvernements et attendre qu’ils agissent. Puisqu’ils n’agissent pas, pas assez, ou pas dans la bonne direction, la fatigue et la déception ne peuvent que l’emporter à la fin.

Avoir le dernier mot !

Une autre option consisterait à construire les différents temps de mobilisation de manière à avoir le dernier mot à Paris. Si nous décidons de faire de Paris2015 une étape de la construction de la mobilisation pour la justice climatique, une caisse de résonance pour faire avancer nos luttes et emmagasiner de la force, alors pourquoi ne pas positionner l’apex des mobilisations à la fin des négociations ? Ainsi, la colère née des errements et des limites des négociations pourrait nourrir les manifestations et les actions massives de désobéissance civile que nous pourrions organiser en fin de négociations. Nous pourrions galvaniser les énergies lors des tous derniers jours : « vous, les gouvernements, vous parlez et négociez pour le pire, vous les multinationales utilisez les négociations pour maintenir votre emprise sur notre futur, nous, les peuples, nous marchons et nous agissons pour changer de système et nous ne lâcherons jamais ». Une telle proposition ne signifie pas abandonner toute volonté d’influer sur l’ONU, les États et les négociations. D’une part parce qu’il est tout à fait envisageable d’organiser des mobilisations décentralisées tout au long de l’année 2015 en ce sens, y compris lors du début des négociations. D’autre part parce que positionner les mobilisations massives lors des derniers jours laisse l’opportunité de faire dérailler les négociations s’il est jugé pertinent de le faire.

Par contre, une telle proposition raconte une toute autre histoire que celle consistant à manifester au cœur des deux semaines de négociations pour faire pression sur l’ONU, les États et les négociations. S’il suffisait de manifester quelques jours avant la clôture des négociations pour influer sur le résultat, Copenhague, lieu de la plus grande manifestation jamais organisée sur les défis climatiques à l’époque, aurait eu un tout autre résultat. Différer le gros des mobilisations citoyennes à la fin de la COP21 de Paris2015, c’est se donner la possibilité de dicter le dernier mot et de ne pas le laisser à d’autres. C’est abandonner le rôle de spectateur et de commentateur auquel nous sommes cantonnés dans les dernières heures des négociations et, au contraire, utiliser l’incertitude qui les entoure, pour devenir prescripteur d’opinion en imposant notre grille de lecture, et nos perspectives, dans l’espace public. Point de déception et de gueule de bois en fin de négociations, mais au contraire l’énergie et la détermination générées et communiquées par des mobilisations citoyennes réussies. De quoi construire au lendemain de Paris2015, dans nos pays, territoires et secteurs respectifs, ce que la déception et la gueule de bois ne permettent pas de faire. Car « nous ne lâcherons plus jamais » !

P.-S.

Remerciements : ce texte n’aurait jamais vu le jour sans les très nombreuses discussions menées dans Attac France, avec de nombreuses organisations associatives et syndicales et de nombreux chercheurs ou experts sur ces questions, menées ces dernières années. Il doit beaucoup aux discussions, remarques et critiques de Nicolas Haeringer, Geneviève Azam, Christophe Aguiton, Jeanne Planche, Txetx Etcheverry et de nombreux autres que je ne peux nommer ici. Bien-entendu, je suis le seul responsable des propos qu’il comprend.

 

[30] Climat : les mouvements et ONG quittent les négociations – Explications  ! http://blogs.mediapart.fr/blog/attac-france/211113/climat-les-mouvements-et-ong-quittent-les-negociations-explications

[31] En l’occurrence la mise en œuvre d’un prix mondial du carbone à travers la connexion des expériences locales, nationales et régionales des marchés et des taxes carbone.

[32] Littéralement les «  textes et parenthèses  ». Dans les négociations, les propositions de texte d’accord comportent initialement des parenthèses pour toutes les parties qui ne sont pas validées. Il est devenu classique de se moquer de ces «  brackets  » souvent plus conséquentes que la partie du texte validée.

[33] Climate Justice Action était un réseau d’activistes promoteurs d’actions directes durant la conférence de Copenhague : http://en.wikipedia.org/wiki/Climate_Justice_Action

[34] Climate Justice Now  ! est l’une des deux coalitions internationales de réseaux et d’organisation, avec le CAN, reconnues par les Nations-Unies et qui insiste sur l’importance de la justice sociale et bataille contre les «  fausses solutions  », y compris la finance carbone – http://www.climate-justice-now.org/fr/

[35] Voir cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=_3Jh5pyiR30

[36] Voir ce texte d’Olivier de Marcellus, militant suisse engagé dans CJN et CJA : http://www.commoner.org.uk/?p=88

[37] Jade Lindgaard, Je crise climatique, Editions La Découverte, Paris, 2014

[38] C’est également le terme choisi par Naomi Klein dans son nouveau livre.

[39] Maristella Svampa, Consenso de los Commodities, Giro Ecoterritorial y Pensamiento crítico en América Latina, http://maristellasvampa.net/archivos/ensayo59.pdf

[40] Voir Maxime Combes, Let’s frack the fracking companies, http://www.ejolt.org/2012/09/global-frackdown-on-fracking-companies/

[41] Le mouvement contre les gaz de schiste ne pourrait avoir obtenu de tels succès s’il n’avait pas pu faire cohabiter des pratiques et des tactiques différentes : guérilla juridique, pression politique, action de terrain, manifestations, actions de désobéissance.

[42] Voir par exemple

Franck Poupeau, «  La guerre de l’eau. Cochabamba, Bolivie, 1999-2001  », Agone, no 26-27:133-140,‎ 2002

[43] Voir ce rapport notamment publié par l’Observatoire des multinationales : http://www.tni.org/briefing/here-stay-water-remunicipalisation-global-trend

[44] Littéralement «  les textes et parenthèses  » : au sein de l’ONU, lorsqu’un document est rédigé, il comprend un grand nombre de parties entre parenthèses, qui sont autant de parties sur lesquelles l n’y a pas encore d’accord.