Articles du Vendredi : Sélection du 01 juillet 2016

Sac plastique, adieu. On ne t’aimait pas

Arnaud Gonzague
http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20160701.OBS3725/sac-plastique-adieu-on-ne-t-aimait-pas.html

Les territoires peu denses, terres d’innovation pour la mobilité durable

Marc Fontanès, président du groupe de travail Mobilité à la Fabrique Ecologique.
www.actu-environnement.com/ae/news/mobilite-durable-territoire-ruralite-innovation-transport-27077.php

Notre-Dame des Landes : vers un conflit de légitimité démocratique !

Maxime Combes
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/270616/notre-dame-des-landes-vers-un-conflit-de-legitimite-democratique

Dominique Méda et Pierre Larrouturou: «Une véritable machinerie idéologique a été mise en place autour des 35 heures»

Vittorio De Filippis
www.liberation.fr/debats/2016/06/24/dominique-meda-et-pierre-larrouturou-une-veritable-machinerie-ideologique-a-ete-mise-en-place-autour_1461832

Sac plastique, adieu. On ne t’aimait pas

Arnaud Gonzague
http://tempsreel.nouvelobs.com/planete/20160701.OBS3725/sac-plastique-adieu-on-ne-t-aimait-pas.html

Enquiquinante, l’interdiction des sacs plastiques ce vendredi 1er juillet ? En tout cas, c’est une aubaine pour l’atmosphère et les écosystèmes.

 

Ils sont légers, bien pratiques et ne coûtent rien : les sacs plastiques à usage unique, distribués aux caisses des magasins et des supermarchés depuis plus d’un demi-siècle, symbolisent presque à eux seuls la société de consommation et son insouciante prédation.

Leur disparition, prévue ce jeudi 1er juillet 2016 par décret, représente donc bien plus qu’une simple mesure technique : c’est l’entrée dans une nouvelle civilisation de consommation, celle des cabas dépassant les 50 microns d’épaisseur, donc plus solides, donc réutilisables. L’ère du tout-jetable en prend un sérieux coup.

Pour M. et Mme Tout-le-Monde, habitués depuis plusieurs années à amener leurs propres sacs de course, ce changement sera indolore ou presque – ne négligeons pas la capacité de nos concitoyens à râler. Mais pour les écosystèmes mondiaux, c’est un progrès considérable, l’une de ces avancées dont on ne mesure la portée que longtemps après.

Bilan catastrophique

En l’occurrence, le sac plastique, ce n’est vraiment pas fantastique. D’abord, il est produit à partir du pétrole, donc d’une énergie terrestre non-renouvelable que l’homme est en train d’épuiser. Il produit donc du C02, ce péril pour le climat : 137 grammes équivalent CO2 durant son (long) cycle de vie. Cela paraît peu, dit comme ça, mais quand on sait que 17 milliards de sacs étaient encore distribués en France chaque année, facile d’imaginer combien son bilan des émissions de gaz à effet de serre est catastrophique !

L’autre défaut majeur du sac, c’est qu’il est léger, s’envole et se retrouve partout, surtout là où il ne devrait pas : les champs, les rivières, la mer… Et il y reste longtemps – jusqu’à quatre siècles sont nécessaires pour dégrader les plus endurants. Qu’on se figure la chose : si des sacs plastiques avaient été produits au début du règne de Louis XIII, ils commenceraient tout juste à être dégradés à l’heure du règne de François Hollande !

Entre-temps, comme ils sont très nombreux, ils ont eu le temps de commettre des dégâts majeurs, touchant plus de 260 espèces animales. Beaucoup d’oiseaux, de tortues et certains mammifères marins, les prennent pour des proies et s’étranglent en les dévorant. Pour une tortue, par exemple, un sac plastique ressemble diablement à une méduse, donc à un bon repas.

Toxiques

Et ce “malentendu” n’est pas anecdotique : il concerne 86% des tortues marines. Et prenez au hasard un oiseau en Mer du Nord : il y a 94% de risques qu’il ait du plastique dans le ventre.

Mais il n’y a pas que l’étouffement : fragmentés par la mer et le vent, les plastiques se transforment en des petites particules que beaucoup de poissons confondent avec du plancton. Or, ils sont toxiques pour l’organisme dudit poisson, et pour celui qui va le consommer – en l’occurrence, parfois l’homme.

Pour toutes ces raisons, on peut dire ‘bye-bye” au sac plastique sans avoir à mouiller un mouchoir (réutilisable).

Les territoires peu denses, terres d’innovation pour la mobilité durable

Marc Fontanès, président du groupe de travail Mobilité à la Fabrique Ecologique.
www.actu-environnement.com/ae/news/mobilite-durable-territoire-ruralite-innovation-transport-27077.php

La restriction de la voiture vise souvent les centres urbains mais la mobilité durable est un sujet bien plus essentiel dans les zones peu denses. Marc Fontanès, président du groupe de travail Mobilité à la Fabrique Ecologique, est convaincu que les innovations sortiront de ces territoires.

Les questions de mobilité dans les territoires peu denses sont peu traitées dans le débat public français. C’est pourtant un sujet essentiel. Loin des clichés habituels sur la qualité de la vie à la campagne, véhiculés souvent par les propriétaires des résidences secondaires, les évolutions multiples de la dernière décennie ont beaucoup accru le sentiment d’isolement voire de relégation des habitants de ces régions. Tous les ans pourtant, 110.000 de nos concitoyens quittent la ville pour aller vivre dans le périurbain ou à la campagne.

Cesser de cantonner la mobilité à l’urbain dense

La mobilité, à coups de métropolisation et de boom numérique high tech, est devenue l’apanage de l’urbain, jusque dans la loi. Un décalage saisissant, qui donne le sentiment qu’on a abandonné les 20 à 30 millions de Français non urbains à leur sort. Les arguments en faveur de la vie hors des villes ne manquent pas : respirer, se refaire une santé, vivre au calme… Tout cela a pourtant un coût, que l’on peut résumer en un mot : distance. Les territoires peu denses sont caractérisés par l’éloignement des services de la vie quotidienne et des bassins d’emplois, et font face à des défis inédits tels que le vieillissement de la population ou l’inégalité d’accès à Internet et aux services numériques. Le risque est grand d’assister à des phénomènes d’enclavement de plus en plus marqués, en particulier pour les ménages non motorisés, les pauvres monétaires, les précaires énergétiques, une partie des jeunes et de nos aînés. Pour ces populations, la mobilité est une condition nécessaire à l’inclusion sociale, mais elle est aussi une injonction pouvant s’avérer insoutenable.

Quand peu dense rime avec dépendance

Dans ces territoires, la dépendance automobile est une réalité difficile à appréhender pour l’urbain “hyper-agile” des mobilités, qui a désormais l’embarras du choix. Là-bas, peu ou pas de transports collectifs, et ce n’est pas prêt de s’arranger. Avec 20 Mds€ par an de budget, dont 20% seulement sont compensés par le prix payé par les voyageurs, notre système de transport est à bout de souffle. Là-bas, la voiture est reine, mais parce qu’on n’a pas le choix. Une pression telle que le premier moyen de transport des ménages non motorisés est bien… la voiture, pour deux déplacements sur trois ! Là-bas, pas de révolution numérique. Google ou Facebook deviennent les champions des nouvelles mobilités ? Oui, mais dans les métropoles. Alors, faut-il désespérer ? Bien au contraire, puisque cet acharnement urbain ouvre grande la voie à l’innovation dans les espaces peu denses.

Un milliard d’euros pour le vélo ? Mais vous n’y pensez pas !

Justement, si. Dans le périurbain et le rural, un déplacement sur deux fait moins de cinq km et les ménages sont assez bien équipés en vélos. Le faible usage constaté s’explique surtout par une offre en infrastructures et services défaillante. Particulièrement bien maillé en routes communales et autres chemins (plus d’1,2 million de km !), notre pays offre une multitude de trajets plus directs que la route. La planification systématique de réseaux cyclables “malins”, sécurisés et efficaces y est possible à moindre coût, en modérant les vitesses de circulation dans le périurbain et en aménageant des itinéraires dans le rural. Pour quelques dizaines de milliers d’euros, des élus locaux ont ainsi relié un village “dortoir” à la commune “poumon économique et de services” la plus proche. Ou ont créé des zones 30 pour un budget vingt fois inférieur à celui d’une piste cyclable. Sur le plan financier, il suffirait d’investir l’équivalent de 150 km d’autoroute ou de 60 km de TGV pour doter la France d’un réseau cyclable digne de ce nom. Soit un milliard d’euros.

L’avenir de la mobilité durable dans les territoires peu denses, c’est… la voiture !

Les différents modes de partage de la voiture apportent une solution au potentiel considérable. Actuellement, les propriétaires de voitures n’ont financièrement pas grand intérêt à pratiquer le covoiturage de proximité. Pour massifier le covoiturage, l’enjeu principal réside donc dans l’augmentation de l’indemnisation du conducteur, en assouplissant le concept de bénéfice réalisé et en valorisant le service rendu – jusqu’à 0,50 € du kilomètre par exemple. Avec un gisement de demande se situant entre 2 et 3 millions de ménages, l’autopartage est “le” marché d’avenir des zones peu denses. Le partage des 2ème et 3ème véhicules des ménages multi-motorisés y permettrait d’assurer le même volume de déplacements, en réduisant de 30% le parc de véhicules nécessaire et de 20% le trafic correspondant. Pour un ménage modeste, dont la voiture représente jusqu’à 20% du budget familial, le partage est une alternative permettant de circuler dans un véhicule plus récent, mieux entretenu et moins polluant. De nombreux acteurs s’y intéressent : opérateurs de transport public, opérateurs spécialisés (Bolloré, Citiz, Ouicar, Koolicar ou Drivy) ou promoteurs immobiliers. Les constructeurs s’y mettent, intégrant progressivement que le modèle économique de la voiture va évoluer vers un service de mobilité. Un véhicule partagé roulant plus qu’un véhicule en mono-propriété, il sera renouvelé plus souvent. Mais, alors que le besoin d’alternatives à la propriété est patent dans les zones peu denses, aucun des services aujourd’hui accessibles en ville ne répond à cette demande potentielle. Les acteurs impliqués avancent en ordre dispersé. Les élus locaux, en mal de solutions concrètes, peinent à savoir par où commencer pour développer ce nouveau service.

Une responsabilité accrue pour les collectivités locales et territoriales

Les régions, départements et intercommunalités ont pourtant la responsabilité décisive de relever le défi des mobilités en zones peu denses. Elles peuvent le faire à moyens financiers quasi-constants et avec des outils existants. A défaut, il ne faudra pas s’étonner si les géants du numérique prennent la main en matière d’organisation de la mobilité.

La coopération territoriale est une priorité, pour dépasser les frontières administratives et se doter de moyens financiers complémentaires, à l’image des syndicats mixtes SRU, qui permettent de lever un versement transport additionnel non exclusif aux territoires urbains. Cela pourrait ne pas suffire pour attirer les nouveaux acteurs des mobilités, en demande de formes de commande plus souples que le marché public. L’application des compétences des collectivités pourrait en ce sens évoluer au profit d’une animation territoriale multi-acteurs, associée à une contractualisation de type partenariat public-privé. Les collectivités compétentes auront également un rôle clé à jouer dans la fiabilisation et la régulation des nouveaux services de mobilité : participation au risque (investir dans une flotte partagée, équiper des véhicules de particuliers de boîtiers permettant leur mise en réseau…), fonction de tiers de confiance, ingénierie auprès des plus petites collectivités, etc.

Enfin, elles ont à apprendre de l’expertise des « acteurs de la vie courante », ces mairies, centres sociaux, maisons de services, associations et autres garages, au contact quotidien de le la population. Leur confier une partie des réponses à apporter, dans une association subtile entre solutions de proximité, solidarité, et un peu de high tech, semble prometteur. A titre d’exemple, imaginer qu’un centre social ou un concessionnaire local organise une colocation longue durée d’un véhicule pour quatre ménages vulnérables ne semble pas utopique.

Faire évoluer la fiscalité automobile vers une fiscalité de la possession

La massification du partage suppose enfin un encouragement financier. Transposer progressivement la fiscalité automobile actuelle – portant sur un usage lié à la consommation d’énergies non renouvelables et sur l’acte d’achat à l’aide de différents bonus-malus – vers une fiscalité de la possession apparaît socialement et politiquement acceptable. Vu sous la forme d’un incitatif, pourquoi ne pas imaginer à l’échelle nationale un système comparable au crédit d’impôt de rénovation énergétique : je partage, donc je gagne ?

Une vraie mobilité durable dans les territoires de faible densité est donc possible. Au-delà de l’expérimentation, la massification du vélo et de la voiture partagée passe par un engagement décisif des autorités publiques, sur les plans politique et budgétaire, et dans leur capacité à nouer des partenariats avec les initiatives privées innovantes. En ce sens, il serait bienvenu que la gouvernance des métropoles soit attentive au service de leurs hinterlands, au nom d’intérêts communs.

Notre-Dame des Landes : vers un conflit de légitimité démocratique !

Maxime Combes
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/270616/notre-dame-des-landes-vers-un-conflit-de-legitimite-democratique

Pour Manuel Valls « la démocratie a parlé ». Les élus locaux appellent à ce que les travaux commencent à l’automne. « Consultation illégitime, résultat biaisé » répondent les opposants qui prévoient de maintenir l’occupation du site pour « habiter, cultiver et protéger le bocage ». Si le Oui l’a emporté, la consultation sur le transfert de l’aéroport n’a manifestement pas réglé le conflit.

  Le principe « des plus concernés » mis à mal

Sur la base d’un périmètre et d’une question choisis par un gouvernement pro-aéroport, 51% d’électeurs de Loire-Atlantique se sont rendus aux urnes, soit 480 000 habitants qui ne se sont pas déplacés (résultats complets ici). La victoire du Oui est nette : 55% des votants, soit 268 000 personnes, se sont montrés « favorables au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ». Plus de 218 000 personnes ont voté Non. De fortes disparités selon les communes peuvent être obervées. Les « plus concernés » par le transfert, à savoir les habitants des communes qui seraient touchées par la construction du nouvel aéroport, ont voté majoritairement contre. Tandis que celles qui imaginent en tirer profit sur le plan économique, comme les communes relativement peuplées d’Orvault et Saint-Herblain, ont voté largement pour. Les communes rurales, et les cantons historiquement de droite (La Baule, Guérande) ont également appuyé le transfert. Plus surprenant, Nantes sort du scrutin coupé en deux parts égales puisque le Oui l’emporte d’à peine 100 voix sur 84730 votants et le vote est disparate dans les communes à proximité de l’aéroport actuel (Bouguenais, Rezé, etc).

François Hollande et Manuel Valls avaient justifié la restriction du périmètre de la consultation aux habitant.e.s de Loire-Atlantique au nom du principe de ne consulter que « les plus concernés ». Les habitant.e.s des autres départements des Pays-de-la-Loire et de Bretagne ont ainsi été écartés alors que les deux régions sont supposées financer la construction d’un l’aéroport dénommé « aéroport du Grand-Ouest ». Si ce principe avait été pris dans un sens plus restrictif (les seules communes touchées par la construction de l’aéroport) ou dans un sens plus étendu (tous les habitants supposés contribuer au financement de l’aéroport), le résultat de la consultation aurait été totalement opposé. C’est d’ailleurs ce que les sondages montraient, tel celui-ci de l’IFOP en date du 29 mars, sur la base desquels le gouvernement à décidé de restreindre le périmètre au seul département de Loire-Atlantique.

 

Conclusion : la consultation a permis deux choses : 1) savoir ce que pensent les habitants de Loire-Atlantique ; 2) obtenir le résultat voulu par le gouvernement. Mais il n’a pas permis de connaître l’avis de « tous les concernés » par la construction de l’aéroport.

 

Un conflit loin d’être résolu

Les pro-aéroport ont toujours affirmé que les opposants étaient « ultra-minoritaires ». Force est de constater que le résultat de cette consultation est loin d’être un raz-de-marée pro-Oui. Le Non à l’aéroport, bien que minoritaire, ratisse plus large que les seuls opposants historiques présents dans les rassemblements et sur les manifestations. Et ce malgré la formulation de la question de la consultation qui parlait de « transfert » alors qu’il s’agit de construire un nouvel aéroport sans démanteler la piste de l’existant. Difficile de savoir si la base de la contestation active à l’aéroport s’est élargie et va se renforcer dans les mois à venir. Par contre, il apparaît clairement que le département de Loire-Atlantique n’a jamais été si divisé : le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes est très loin de faire l’unanimité. Au lendemain de cette consultation difficile de prétendre qu’un pas a été fait sur le chemin du règlement du conflit et de l’apaisement. Bien au contraire.

 

Ce n’est guère étonnant. Pour qu’une consultation puisse résoudre un conflit, aussi dur soit-il, il est nécessaire que les différentes partie prenantes s’accordent sur les modalités de son organisation et en acceptent, par avance, la légitimité, tant de son processus que du résultat. C’est le b.a-ba de tout processus de résolution des conflits, qu’il s’agisse d’une situation post-apartheid comme en Afrique du Sud, ou d’un conflit social classique. En instrumentalisant le périmètre et la question de la consultation pour obtenir le résultat désiré – sans mettre en œuvre les moyens nécessaires pour une campagne d’information impartiale et irréprochable – le gouvernement a foulé aux pieds ces principes de base. Il aura tout au plus réussi à renforcer la détermination des pro-aéroports d’un côté, et celle des opposants de l’autre : les premiers vont se parer de la légitimité de la consultation pour exiger l’évacuation de la ZAD et le début des travaux, les seconds pointer le caractère biaisé et illégitime de la consultation pour poursuivre leurs mobilisations (voir CP des opposants).

Conclusion : avec sa consultation, le gouvernement a réussi à : 1) fracturer un peu plus le département au nom de la construction d’un nouvel aéroport ; 2) attiser l’animosité, l’agressivité et le ressentiment des pro et anti aéroports les uns envers les autres.

 

Conflit de légitimité démocratique

A la légitimité – contestée – de la consultation et de son résultat va être opposée la légitimité – également contestée – des recours déposés, de la parole électorale du président de la République. Tous les recours contre le projet de nouvel aéroport ne sont en effet pas épuisés. Notamment deux d’entre eux. Le premier porte sur la consultation elle-même : si le Conseil d’Etat a rejeté trois premiers recours – dont deux en référé – il en reste un, sans doute le plus important, qui porte sur le fond de l’ordonnance du 21 avril 2016, relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement. Ordonnance qui a fait l’objet d’un avis défavorable du Conseil d’évaluation des normes et du Conseil national de la transition écologique. D’autre part, la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction contre les conditions d’évaluation environnementale qui ont permis de justifier le projet d’aéroport et de minimiser l’impact sur l’eau, la biodiversité et l’environnement.

Au printemps 2012, François Hollande s’était d’ailleurs engagé à ce qu’il n’y ait aucune expulsion avant que tous les recours contre le projet d’aéroport ne soient épuisés. Comme ces recours ne sont pas épuisés, les déclarations de Manuel Valls selon lesquelles « les occupants de la Zad devront partir avant le début des travaux en octobre » vont être perçues comme une provocation supplémentaire et une remise en cause des engagements présidentiels. D’autre part, l’utilité de l’aéroport, ainsi que sa pertinence au regard de l’urgence climatique ou de la nécessité de préserver des terres agricoles et des zones humides, reste en discussion. Le manque de clarté sur la question posée l’illustre parfaitement : personne ne sait dire si le projet soumis à la consultation porte sur un aéroport à une ou deux pistes, s’il est plus grand que l’aéroport actuel et s’il implique la fermeture complète de l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique comme le laisse entendre le terme de transfert.

Conclusion : Les appels au respect de la démocratie pour évoquer la légitimité du résultat de la consultation, ne doivent pas faire oublier que la démocratie ne se résume pas aux consultations électorales.

Dominique Méda et Pierre Larrouturou: «Une véritable machinerie idéologique a été mise en place autour des 35 heures»

Vittorio De Filippis
www.liberation.fr/debats/2016/06/24/dominique-meda-et-pierre-larrouturou-une-veritable-machinerie-ideologique-a-ete-mise-en-place-autour_1461832

A rebours de la philosophie de la loi travail, la sociologue et l’économiste appellent à passer à la semaine de 32 heures afin de créer de l’emploi. Etats-Unis, Allemagne, Belgique… le débat est de nouveau sur la table.

Qui se souvient que le temps de travail annuel des salariés en France était de 2 700 heures il y a tout juste un siècle ? Après une longue décrue, ce temps n’est plus que de 1 387 heures. Durant toute cette période, et même avant, les pleurnicheries et autres grognes contre la réduction du temps de travail (RTT), accusée d’entretenir la fainéantise et de disloquer la compétitivité économique, n’ont cessé. Pourtant, comme le montrent la philosophe et sociologue Dominique Méda et l’économiste et homme politique Pierre Larrouturou dans leur dernier ouvrage, la réduction massive du temps de travail n’a pas seulement amélioré les conditions de vie depuis des décennies, elle est au cœur de la dynamique économique de tous les pays qui l’ont mise en œuvre. Voilà un livre qui tombe à point, en pleine discussion sur une loi El Khomri pour laquelle la RTT est loin d’être une priorité. S’appuyant sur une analyse finement documentée, les deux auteurs tournent le dos à des perspectives régressives qui tendent à vouloir déréguler encore plus le travail. «Il faut provoquer un choc de solidarité en passant à la semaine de quatre jours», estiment-ils. Loin des slogans sans fond, leur démonstration montre comment cette mesure peut créer des emplois sans coût supplémentaire pour les entreprises.

La réduction du temps de travail n’a pas bonne presse. Le débat a même régressé, si l’on en juge les discussions sur la loi travail…

Dominique Méda : Il y a plusieurs explications. D’abord le processus de RTT a été arrêté avant terme. Alors que la loi Robien [en 1996, ndlr] puis la première loi Aubry [1998] avaient donné de très bons résultats parce que les exonérations de charges étaient conditionnées à des créations d’emplois, certaines entreprises ont profité de la deuxième loi sur les 35 heures [2000] pour flexibiliser l’emploi et intensifier le travail, encouragées par un Medef qui était vent debout contre le processus. Là où il n’y a pas eu de créations d’emplois suffisantes, comme à l’hôpital, les choses se sont mal passées. A partir de 2002, une véritable machinerie idéologique a été mise en place autour des 35 heures : elles auraient dégradé la valeur travail, mis la France à genoux, plombé les finances publiques… Le bilan présenté en 2014 par la Commission d’enquête de l’Assemblée a montré pourtant qu’il s’agissait de l’une des politiques d’emploi les moins coûteuses, et que jamais autant d’emplois n’avaient été créés (2 millions entre 1997 et 2002, dont 350 000 à 400 000 directement imputables à la RTT). Mais rien n’y a fait !

Mais à l’époque, c’est la croissance qui explique cette hausse de l’emploi…

Pierre Larrouturou : La croissance [due au contre-choc pétrolier et à la bulle internet] y a contribué évidemment. Mais sur cette même période, alors que la France enregistrait une croissance de l’emploi de 9 %, l’Allemagne ou le Royaume-Uni n’enregistraient qu’une hausse de 4,5 % en moyenne. L’Insee indique que la RTT réelle a été assez faible (4 % en moyenne) mais a créé au moins 350 000 emplois.

D.M. : Cette idée que la valeur travail aurait été dégradée par les 35 heures est fausse : les enquêtes montrent clairement que les Français sont parmi ceux qui sont le plus attachés au travail. Faut-il aussi rappeler que malgré les 35 heures, la durée de travail hebdomadaire des Français(e)s est supérieure à celle des Néerlandais(e)s ou des Allemand(e)s et que nous sommes (même si cela ne doit pas nécessairement être une source de fierté) parmi les plus productifs au monde ?

La bataille des idées n’a-t-elle pas été gagnée par les opposants aux 35 heures, à droite et à gauche ?

P.L. : Si ! Aujourd’hui, à gauche et à droite, c’est le même credo : la croissance par la compétitivité. Certains dirigeants socialistes ont renoncé au progrès social et acceptent un partage du travail (et des revenus) que nous impose le marché.

On a tort de croire au retour de la croissance ?

P.L. : Il suffit de regarder le niveau du taux de croissance en France depuis 1960 pour constater qu’il ne cesse de baisser, décennie après décennie. En attendant, le nombre d’inscrits à Pôle Emploi dépasse les 6 millions de personnes. Le constat est le même dans tous les pays industrialisés. Cela fait vingt ans que le Japon a une croissance annuelle de 0,7 % en moyenne.

Mais vous ne pouvez pas nier que les Etats-Unis sont en situation de quasi plein emploi, et ce, grâce à la croissance retrouvée…

P.L. : C’est un mythe. D’abord, si les Etats-Unis ont retrouvé un certain niveau de croissance, c’est grâce aux 3 500 milliards de dollars [3 097 milliards d’euros] injectés par la banque centrale pour financer les dettes du gouvernement et favoriser la reprise. Mais le taux d’emploi s’effondre : chaque mois, 200 000 à 300 000 Américains renoncent à s’inscrire au chômage parce qu’ils sont découragés. Le taux d’activité a atteint un niveau inédit de 62,6 %. Et parmi celles et ceux qui ont un emploi, il y a tellement de petits boulots que la durée réelle moyenne est tombée à 34 heures !

D.M. : C’est pareil en Allemagne ou au Royaume-Uni, où le travail à temps partiel est plus répandu qu’en France (27 % de l’emploi total contre 18 % ici), plus court et moins bien protégé. En Allemagne, à partir de 2001, ce sont les emplois à temps partiel – voire très partiels – qui se sont multipliés, le plus souvent dans les services et pour les femmes… Avec les réformes Hartz [entre 2003 et 2005 en Allemagne], on a donc créé nombre d’emplois, mais en conservant le même nombre d’heures de travail : l’emploi a été fragmenté. En France, on a préféré réduire la durée normale du travail à temps complet. Vous voyez que, au-delà de ces chiffres, il y a de vrais choix de société, et notamment un enjeu majeur pour l’égalité homme-femme. Diminuer la durée normale des temps complets, c’est permettre aux hommes et aux femmes de s’engager pareillement dans les activités professionnelles, familiales, personnelles, citoyennes. C’est la clef de l’égalité hommes femmes.

Cette idée n’est pas centrale au sein de la gauche majoritaire…

D.M. : En effet, une partie de la gauche a cessé de défendre la réduction du temps de travail et ses multiples avantages : lutte contre le chômage, reconquête de temps pour les activités citoyennes, égalité homme-femme… Domine désormais l’idée que la compétitivité se gagnerait principalement par le coût du travail et qu’il faudrait donc continuer à le réduire – par exemple en diminuant la rémunération des heures supplémentaires – de même que les protections du travail. C’est l’idéologie du prétendu «consensus de Washington». C’est une voie sans issue. Suicidaire à moyen terme. Mais ces dogmes commencent à être remis en cause : le texte récemment publié par trois économistes du FMI qui attirent l’attention sur les conséquences délétères pour nos sociétés de la liberté totale de circulation des capitaux et des politiques d’austérité est extrêmement important. Peut-être le début d’un retour de balancier.

P.L. : En France, ceux qui sont à temps plein sont en moyenne à 39,5 heures [par semaine] alors que 5 millions de chômeurs sont à zéro heure. Seuls les actionnaires profitent de cette situation, car un tel niveau de chômage et de précarité permet d’entretenir un sentiment de peur du côté de ceux qui ont un emploi, qui ne cessent de s’entendre dire, à la moindre revendication : «Si tu n’es pas content, tu peux aller voir ailleurs.» Si le gouvernement veut lutter contre le chômage et sauver les retraites, il n’a pas le choix : il faut négocier un autre partage du travail. Partout, le débat revient. Aux Etats-Unis, c’est l’ancien ministre du Travail de Bill Clinton, Robert Reich, qui affirme que c’est «la» grande réforme que doit faire l’Amérique. En Allemagne, le syndicat Verdi du Bade Wurtemberg demande le passage à 30 heures. A Bruxelles, c’est le ministre de l’Economie qui plaide pour la semaine de quatre jours. Le syndicat belge FGTB et les écolos wallons veulent aussi relancer la négociation. Même chose en Espagne…

Le chômage explique, en partie, la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée…

P.L. : Oui, la peur du chômage est dans toutes les têtes et déséquilibre la négociation. Au total, et sur trente ans, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, la part des salaires dans le PIB a chuté de 10 %. Ce sont des sommes considérables qui auraient dû aller aux salariés, aux caisses de sécurité sociale ou à l’Etat et sont parties vers les actionnaires… Nous subissons une forme de partage qui est totalement sauvage, soumise à la seule loi du marché. A qui profite le crime ? On comprend pourquoi certains veulent absolument ringardiser l’idée d’un autre partage plus civilisé, plus juste… Si on agit fortement sur le temps de travail, si – dans le même temps – on investit les 1 000 milliards que va créer la BCE [Banque centrale européenne] dans la transition écologique, si on aide vraiment à développer les PME, si on change de modèle agricole, si on met le paquet sur le logement et sur les services aux personnes aux deux extrémités de la vie, on peut créer plusieurs millions d’emplois.

Comment financer cette nouvelle RTT ?

D.M. : Nous proposons une nouvelle étape de réduction (ou d’augmentation pour les petits temps travaillés) du temps de travail : les entreprises qui réduisent leur temps de travail à 4 jours (ou 32 heures en moyenne) par semaine et créent 10 % d’emplois en CDI bénéficient d’une exonération permanente de 8 % des cotisations (6,4 % de cotisations chômage et 1,6 % de cotisations de sécurité sociale). Cette exonération permet de créer des emplois sans baisser les salaires. Il faut aussi un grand plan de formation-requalification pour permettre aux exclus de l’emploi d’en retrouver. Au terme d’une période d’expérimentation, un référendum pourrait décider d’un mouvement général si le bilan est positif.

P.L. : On montre dans ce livre que plus de 400 entreprises sont déjà passées à quatre jours. Aussi bien des grandes comme Mamie Nova, Fleury Michon ou la Macif que des PME de 3 ou 12 salariés. Dans tous les secteurs : une agence de publicité, une entreprise de construction métallique, un cabinet d’avocat… Ça ne s’est pas fait tout seul mais partout le bilan est bon. Un mouvement général pourrait créer entre 1,5 et 2 millions d’emplois.

Mais peut-on faire comme si la mondialisation n’existait pas ?

D.M. : Non, bien sûr. Mais nous montrons que c’est possible sans attendre puisque le passage à quatre jours n’augmente pas le coût du travail, et il est probable que d’autres pays suivront très vite. Nous pensons qu’il est urgent aussi de remettre de l’ordre dans la mondialisation. Il faut donner un rôle central à l’OIT [l’Organisation internationale du travail] : les normes du travail doivent s’imposer à l’OMC [l’Organisation mondiale du commerce].

L’Europe est-elle mûre ?

P.L. : Dominique a raison. Il faut faire de l’Europe une zone de haute qualité sociale, environnementale et démocratique. Provoquer un sursaut avec 9 ou 10 pays. Déjà en 2003, avec Stéphane Hessel, nous avions rédigé un «traité de convergence sociale». Il est urgent de l’adopter, sinon nous risquons de voir monter les extrêmes droites et s’accélérer le repli nationaliste. Pour nous, il n’y a aucune fatalité : le progrès social, c’est possible !